Usées jusqu’à la corde, et cela ne suffit pas, il faut encore que tombe
la pluie. Sorties du placard elles ont pauvre allure, une araignée morte depuis
longtemps a tissé sa toile dans l’embouchure et y a retenu des moutons de
poussière. Et pourtant leur mémoire de forme est d’une fidélité à toute
épreuve, on pourrait y couler du bronze et l’on se retrouverait avec deux pieds
jumeaux des deux nôtres, pesant leur poids de postérité. Ces pieds-là
resteraient sans broncher au fond du torrent de montagne, au lieu que les
orteils de chair, saisis, se recroquevillent.
Car elles font éponge sur le bitume, c’est confirmé. Mieux vaudrait les
enlever et marcher pieds nus. D’un geste auguste, on les laisserait tomber par
leurs lacets effilochés dans une poubelle transparente, et l’on serait libre,
enfin. Comme s’il ne s’agissait pas toujours de cela... Les torrents de
montagne entament leur crue à des centaines de kilomètres, là où se canalisent
les habitudes. Ici, nos contraintes ont nom consommation ou endettement. Pourtant
il s’agit bien de se mouvoir, la porte est ouverte, l’air du dehors est frais.
Sous la douche doucement tiède effacer la déteinte.