Dieu est un
concept imprécis, précaire et obstiné. Il fait loi parmi d’autres lois
humaines. Mais si nous aimons rêver grand, nous préférons voir petit. Nous, les
sédentaires. Qu’importe le nombre de pièces, au final demeure un enserrement de
murs, un plafond, un plancher. Même un jardin n’y change rien, même une
terrasse ouverte sur le ciel, c’est toujours la sécurité qui nous tient.
Binh-Dû étire ses membres en travers du lit. Si sa tête était d’une forme plus
allongée il pourrait se prendre pour une étoile. Il rêverait à en désarticuler
la cause de tous ses pincements (oh, cette nuque si raide !), il
délaierait les acidités dans l’écume lactée de l’amour sans souci. Il se
réveillerait au moment qui lui plairait, ainsi qu’on change de position – par
préférence. Tout changerait d’un coup s’il rencontrait une jambe distincte des
siennes : Dieu passe le relais dès lors que nous sommes deux. Parés pour
le voyage, redressés, debout, un pas à tour de rôle dans le monde extérieur. Si
je penche trop tu me retiens, si c’est toi qui penche je me redresse.
L’équilibre vient en marchant, jusqu’à l’audace d’inventer sa trace. Binh-Dû
est si solitaire qu’il en oublie souvent qu’on l’aime.
mardi 17 juillet 2018
lundi 16 juillet 2018
16 juillet
À choisir, être tour à tour le sujet et l’objet. De quelque chose,
nécessairement. Cette chose qui se situe entre l’homme impatient qui s’exaspère
de subir la lenteur de ceux qui le précèdent – Mais allez, remuez-vous un peu,
pensez aux autres, laissez-moi le champ libre ! Et l’homme placide qui ne
voit pas de sens à précipiter ses gestes, bien au contraire – Pourquoi es-tu si
pressé, qu’est-ce qui a tant d’importance que tu ne puisses pas attendre
quelques secondes de plus ? Il y a peu d’alternatives pour les sujets qui
s’ignorent.
Dans tous les cas, il manque une femme. Les deux hommes objets reflètent
l’un de l’autre l’animosité qui les réduit. Ce qui se situe entre eux c’est
aussi là où ils se situent, dans une station-service aux prix cassés. Un monde de
virilités et de voitures qui chauffent. Binh-Dû quant à lui envoie des lettres
amicales sur la toile. Par paquets de six, sa dose journalière. Immatérielle à
souhait. Sans obligation de réciprocité. Le jour suivant il relève son
courrier, le taux de réponse immédiate est de 17%. De quoi tremper ses lèvres au
verre au sixième plein.
dimanche 15 juillet 2018
15 juillet
Puisque la période est à la mélancolie prématurée... Il ne manquerait
parfois qu’un cadre rectangulaire – quatre doigts joints et deux paumes
dressées à la verticale y suppléent avec une étonnante efficacité, encore
faut-il assumer, et le regard appuyé et la mise à distance – pour obtenir une
émotion cinématographique. Ce visage à fleur de peau baigné d’un soleil orangé
de fin de journée. On prolongerait le film grâce aux bonus du DVD – les scènes
coupées au montage qui ne trouvèrent pas à s’inscrire dans la narration.
Coupés au montage les passages honteux, médiocres, pusillanimes à
l’excès. La litanie du premier poil blanc, les douleurs dépourvues de sens. Les
attentes paresseuses. Les redondances. Nous serions les réalisateurs de films
propagandistes incitant les âmes hésitantes à prendre corps. Comme des migrants
exilés sur Terre et qui dépeindraient à la famille restée au pays une réalité
épurée - Tout va bien, je vais vous envoyer de l’argent. Le film préféré de
Binh-Dû montrerait un temps d’avant,
perpétuellement suspendu.
samedi 14 juillet 2018
14 juillet
La tristesse s’abat à la fin du jour. D’avoir programmé une enfilade de
lendemains jusqu’à l’apex du mois d’août, d’un coup s’y retrouver et c’est déjà
le déclin de l’été. D’anticiper une séparation annoncée au cœur de la prochaine
fête ; cela se passera ainsi, une dernière embrassade, un sac hissé sur le
dos, un pâle sourire de part et d’autre, l’une montera en voiture et l’autre
replongera dans la foule. Aujourd’hui même, après une journée ensoleillée,
d’étreindre une femme qu’on ne reverra pas avant septembre et dont on esquive
le risque d’un baiser.
Binh-Dû pourtant s’est réjoui d'entendre un couple de tourterelles si bien
assorties, posées côte à côté sur un fil électrique. Il s’est empli de bonheur
esthétique à la vue de danseurs tels de souples animaux plus libres qu’ils ne
furent sauvages. Il a respiré le ciel et ses parfaits nuages. Assis sur un bloc
de pierre taillé dans un gisement de fossiles, il s’est immergé dans une conversation essentielle.
Il a étiré ses orteils autant que possible pour accroître l’aise de ses
nouvelles chaussures. Rien n’y fit. Ses pieds chéris lui semblent trop petits.
vendredi 13 juillet 2018
13 juillet
Les accomplissements souvent passent inaperçus. Ni à l’entrée ni à la
sortie le vigile ne repère qu’il y eut un avant et qu’il y a un après.
S’abritant des premières gouttes de pluie qui tombaient aux abords du centre
commercial, Binh-Dû fit des emplettes opportunistes, quand il sortit à nouveau
dans la rue, de perpétuelles premières gouttes de pluie (vite évaporées) maculaient
le trottoir. L’air est chaud, le vent souffle fort dans les nuages et le temps
assèche les regrets. À plus forte raison quand une deuxième démarque efface l'initiale déception des soldes.
Quelle fut âpre pourtant cette négociation entre les principes
spartiates de Binh-Dû et les exigences de ses pieds. Au final il trouva donc
chaussures. Soldées comme il se doit, bien que d’une demi-pointure trop
courtes. Il coupera les ongles de ses orteils. D’un pas allégé il arpenta les
travées d’un magasin voisin où l’on n’accepte plus les chèques depuis deux ans
et demi (ah bon, cela fait si longtemps que je vivais dans ma grotte ?),
et s’offrit grâce à l’économie réalisée le disque détaxé d’une chanteuse aux
pieds nus. La vendeuse lui rendit un sourire de connivence.
[merci réitéré et non moins perpétuel à Camille]
jeudi 12 juillet 2018
12 juillet
La sœur inventée serait un être de totale confiance, disponibilité,
bienveillance. De même serions-nous un frère pour elle. Binh-Dû surimpressionné
dissimule à l’extérieur de lui-même l’homme que nous sommes. Chez lui aussi, totale
bienveillance, et cætera. Il est requis pour aller au bout de n’importe quel
voyage, car il est habile à se contenter de peu. Il sait évoluer entre les
plaintes et les appréhensions, pour tout dire ça le fait rire. Il n’aurait pas l’âme
mélancolique, ni décisionnelle, ne serait pas du genre à affirmer une opinion ou
à prodiguer un conseil.
La sœur réelle correspond assez bien à la définition de la sœur
inventée. Diffèrent forcément la tonalité de songe propre à la seconde ainsi que le registre
ambigu consistant à se proclamer frères et sœurs humains, de passage sur Terre.
Binh-Dû apporte à l’homme que nous sommes un surcroît de biodiversité. Il sait
que l’amour se pratique à plusieurs. Il a exploré les continents, les océans,
il est en mesure de parcourir à rebours le temps qui les fatigue. C’est pour
lui un jeu de paysages, certains, nous ne les soupçonnerons pas de notre
vivant. « Mais le premier paysage, c’est toi. »
mercredi 11 juillet 2018
11 juillet
Binh-Dû est dans la ville, il respire une fois sur trois, entre deux
émanations toxiques. Il n’y parvient pas très bien, il doit s’empoisonner à
petit feu. Martyre de ceux qui ont les moyens de s’acheter de
l’oxygène. Ces gens-là s’efforcent de croire qu’il y aura de l’avenir pour
leurs enfants, une espérance de vie qui permettra de mourir avant eux. Ceux qui
n’ont pas les moyens ne se verront jamais attribuée une place dans les
navettes, ils sont résignés à ne jamais surplomber les nuages. Ils se disent
que les enfants, déjà, c’est bien quand c’est petit.
Binh-Dû est un enfant des circonstances, comme n’importe lequel d’entre
nous. Il est sa propre adaptation aux circonstances. Son métabolisme fractal
est en revanche assez particulier, qui lui permet de ressentir sans barrière
cellulaire le vent dans les branchages. Malheureusement il y a de moins en
moins d’arbres. D’autres événements s’y substituent, qui n’auraient pas pris tant
d’importance sinon. Il se serait perché par choix en haut du magnolia au lieu
de le rêver refuge. Mais en tout état de cause, la vie se survivant, de joie parcellaire il s'emplit et se contente.
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