Un scutigère
véloce tente d’échapper au ramequin qui le surplombe, attention, si tu cours
trop vite tu risques de te faire trancher en deux. La bêtise est l’observance
inconsciente du simulacre. Une fois avalés par la bouche du métro, faut-il
souhaiter ne pas se faire pincer très fort, vraiment ? Cela pourrait
peut-être nous réveiller. Au lieu de cela, nous sommes véhiculés à notre âme
défendant, notre corps souffrant, et notre esprit aussi qui ne comprend pas
grand-chose à ce qui lui entre par une oreille et en ressort par l’autre.
Simulacres la publicité, l’impulsion de consommation, l’emploi du temps, mieux
vaudrait encore sucer des lépismes et piquer des araignées. Ou qu’on nous jette
du haut d’un étage dans un bac à fleurs. Simulacres le sens de la vie, les
arrangements de couple. Car après le métro, ce qui reste ne peut plus être
qu’une compensation hallucinée de ce que nous avons souffert sans trop le
savoir. Nous sommes des régiments de cadres qui ne peuvent plus voir au-delà de leurs limites. Nous sommes une procession de menteurs plus innocents que ne le
sont leurs actes. Nos jambes nous attendent ailleurs.
vendredi 7 septembre 2018
jeudi 6 septembre 2018
6 septembre
Une mésange se pose sur les brins
d’encens disposés comme des fleurs dans le pot de terre. Elle
picore sans conviction, se rabat sur le fil du linge. Binh-Dû tolérerait
qu’elle lâche une petite fiente, tant sa présence lui réjouit l’âme. Dans les
rues avoisinantes les arbres sont alignés au cordeau, fraîchement élagués. Rien
qui dépasse, de même on brûle les cornes des chèvres. L’arbre dans la ville est
une tolérance, sous condition de bien se tenir, de n’être que ce qu’on voudrait
qu’il soit. Et les enfants aussi on les mutile, « Va donner le pain aux
pigeons ! » ordonne un père à sa fille. On les ordonne de la maison à
l’école, en passant par le parc paysager où patrouillent les gardes sur leurs
scooters électriques, attentifs à ce que personne ne déborde du gazon. Du
théâtre de marionnettes s’échappent des cris de dénonciation. Ce qui importe, c’est d’être du bon côté du bâton, martèlent les collabos. De retour chez
lui, Binh-Dû observe un moment le ciel menaçant, son
linge est quasiment sec.
mercredi 5 septembre 2018
5 septembre
Dans le
magasin coloré d’une rue blasée, deux jeunes femmes se prennent dans les bras
l’une de l’autre. De l’autre on ne perçoit que la chevelure brune, l’une est
plus identifiable : son visage se superpose au reflet du passant dans la vitrine. Quelques minutes plus tôt, le même homme récupérait,
par-dessus un pupitre de marbre, le manuscrit d’un roman refusé. La jeune femme
dont la chevelure n’est pas brune ressemble à l’homme dont le reflet se
superpose à son visage, dans la mesure où elle éprouve elle aussi de grandes
difficultés à composer avec son contexte. Souvent elle lui montre
la voie d’une échappée qui tarde à s’imposer. Un peu plus loin, une
femme enceinte traverse en biais, une expression satisfaite éclaire son visage.
Comme si elle s’était trouvé un mari qui la dispense désormais de rencontrer
d’autres hommes. Elle continue à voir ses amies, dont la plupart vivent
également en couple. Dans le magasin, l’instant
d’une étreinte a suspendu tout impératif de vente. La jeune femme de face vient
de terminer un roman, refusé du vivant de son auteur, qui traite de la joie comme d’un art, l’homme qui
passe le lui avait recommandé avant l’été. La joie est une force nucléique, à
s’en brûler les vaisseaux. Binh-Dû ne craint pas les zébrures colorées.
[merci à Goliarda Sapienza]
mardi 4 septembre 2018
4 septembre
L’expérience abêtit. N’en déplaise à Binh-Dû, ou alors c’est que nous
ne parlons pas de la même chose. Certes non, de quelle expérience
parles-tu ? demande-t-il. Ce qui est une drôle de façon d’orienter la
conversation, car enfin, si « certes non », comment désirer répondre
à l’interrogation suivante, comment ne pas déceler une non moins certaine condescendance ? Mon goût
de l’expérience n’exclut pas la condescendance, admet Binh-Dû, magnanime. C’est entendu, bien que sa prédilection aille
plutôt à ce qui infuse dans le corps.
Mais tout de même, l’expérience abêtit, elle fait du futur table rase.
C’est parce que tu crois encore au futur, rétorque Binh-Dû. La plupart des
vieilles personnes n’ont plus guère d’intérêt à découvrir quoi que ce soit qui les
concerne pourtant ou qui concerne le monde. Tu crois à la vieillesse et tu
crois à la mort, déduit Binh-Dû, tes expériences en sont inévitablement
faussées. Les histoires de voisins en effet ne mènent pas bien loin.
L’espérance d’une vie humaine correspond peu ou prou à la durée de vie d’un
cerisier. Force reste au noyau.
lundi 3 septembre 2018
3 septembre
L’empathie se précipite. Hâte de réactiver la hantise d’être quitté. Mais
rien ne presse ! Chaque chose en son temps, comme disait le père de
Binh-Dû en une sorte de soupçon prémonitoire du jour où il disparaîtrait aux yeux
de ceux qui l’avaient connu, tel un magicien flamboyant joignant la parole à
l’éther. Disait-il dans une tout autre perspective, alors que l’avenir semblait
aller de soi. L’empathie déjà minait le bon sens. Ce n’est pas de toi qu’il
s’agit ! faudrait-il se rappeler à intervalles réguliers, ainsi que chante
un oiseau au printemps.
On ne songe pas à te quitter. Peut-être est-ce alors un sentiment
voisin, il serait trop tôt ? Trop tard, ce n’est pas vraiment un problème
pour Binh-Dû, juste une sédimentation. Le regret est atone, dépourvu d’anxiété,
tandis que l’impréparation crisse dans les virages. Vite, vite, mais le pli est
pris, l’anneau de Moebius s’étrangle en son centre et il apparaît alors que
tenter de se ménager revient surtout à exprimer un épouvantable scepticisme
envers la puissance du présent. Comme si Binh-Dû avait vécu une fois pour
toutes et à jamais.
dimanche 2 septembre 2018
2 septembre
Jusqu’en quels lieux retirés se réfugier ? Quand tout ce sur quoi
l’attention est attirée équivaut à une insulte, quand les coups sont portés
sans relâche, pareils au martèlement d’une musique machinale ou d’une machinerie
musicale, quand les organes crient silencieusement « Emmène-moi
ailleurs ! Prends soin de moi sinon je meurs ! » Quand l’âme au
diapason soupire « J’aurais tout donné pour toi. J’étais ton enfant
chérie, ta mère et ton père. » Dans le cube opacifié les impulsions
sensorielles entament le squelette, la poussière s’ajoute à la poussière.
Mais il faut bien vivre, rétorquera-t-on à Binh-Dû. Vivre, c’est-à-dire
écouter les sons et les vibrations de cette musique nous pénétrer le corps,
crier qu’on est content de lever en cadence les bras en l’air et de sautiller
d’une jambe sur l’autre, ingurgiter des breuvages corrosifs qui sapent de notre
existence la continuité, manger du sang coagulé, de la chair pharmaceutique et
du pétrole aromatisé, baiser à pierre fendre, dormir comme on meurt et vomir au
réveil, renfiler le costume pour cinq jours. Binh-Dû se souvient comme il
enviait ceci, du temps de son immortalité.
samedi 1 septembre 2018
1er septembre
Ces histoires de supermarché... Déjà le préfixe qui pue l’arnaque...
L’illusion, la misérable excitation, le dévoiement des enchantements... La
réduction de l’homo economicus... Les appétits voués à l’écœurement...
Binh-Dû est à deux doigts (dans la gorge) de formuler un nouveau
serment du pâté [cf 14 août]. Une résolution qui l’éloignerait de ces lieux de perdition, en
substance cela dirait : « Des fruits et légumes sains dans un
environnement sain ».
Car il sent qu’il s’abîme à force de déchirer dans les bacs les
emballages de citrons, de tomates et de pommes biologiques, et de s’esquiver en
catimini, et d’être repéré par un employé qui lui dit « Ce n’est pas bien,
ce que vous faites ».
Car il ne veut pas devenir ce monsieur perturbé réclamant au caissier
les quinze centimes de différence entre le prix en rayon et celui qui
s’affiche. Prétendant être sagace et rire de ses propres
grimaces. Oh non, ce ne serait pas super.
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