L’expérience abêtit. N’en déplaise à Binh-Dû, ou alors c’est que nous
ne parlons pas de la même chose. Certes non, de quelle expérience
parles-tu ? demande-t-il. Ce qui est une drôle de façon d’orienter la
conversation, car enfin, si « certes non », comment désirer répondre
à l’interrogation suivante, comment ne pas déceler une non moins certaine condescendance ? Mon goût
de l’expérience n’exclut pas la condescendance, admet Binh-Dû, magnanime. C’est entendu, bien que sa prédilection aille
plutôt à ce qui infuse dans le corps.
Mais tout de même, l’expérience abêtit, elle fait du futur table rase.
C’est parce que tu crois encore au futur, rétorque Binh-Dû. La plupart des
vieilles personnes n’ont plus guère d’intérêt à découvrir quoi que ce soit qui les
concerne pourtant ou qui concerne le monde. Tu crois à la vieillesse et tu
crois à la mort, déduit Binh-Dû, tes expériences en sont inévitablement
faussées. Les histoires de voisins en effet ne mènent pas bien loin.
L’espérance d’une vie humaine correspond peu ou prou à la durée de vie d’un
cerisier. Force reste au noyau.