Dans le
magasin coloré d’une rue blasée, deux jeunes femmes se prennent dans les bras
l’une de l’autre. De l’autre on ne perçoit que la chevelure brune, l’une est
plus identifiable : son visage se superpose au reflet du passant dans la vitrine. Quelques minutes plus tôt, le même homme récupérait,
par-dessus un pupitre de marbre, le manuscrit d’un roman refusé. La jeune femme
dont la chevelure n’est pas brune ressemble à l’homme dont le reflet se
superpose à son visage, dans la mesure où elle éprouve elle aussi de grandes
difficultés à composer avec son contexte. Souvent elle lui montre
la voie d’une échappée qui tarde à s’imposer. Un peu plus loin, une
femme enceinte traverse en biais, une expression satisfaite éclaire son visage.
Comme si elle s’était trouvé un mari qui la dispense désormais de rencontrer
d’autres hommes. Elle continue à voir ses amies, dont la plupart vivent
également en couple. Dans le magasin, l’instant
d’une étreinte a suspendu tout impératif de vente. La jeune femme de face vient
de terminer un roman, refusé du vivant de son auteur, qui traite de la joie comme d’un art, l’homme qui
passe le lui avait recommandé avant l’été. La joie est une force nucléique, à
s’en brûler les vaisseaux. Binh-Dû ne craint pas les zébrures colorées.
[merci à Goliarda Sapienza]