dimanche 4 novembre 2018

4 novembre

C’est un oiseau doré qui frappe au carreau. De son bec recourbé, nulle vanité excessive, juste la proposition d’une présence. L’idée d’une récompense. Et l’histoire pourrait s’arrêter là, aussi brève qu’elle fut. Des oreillers de cheveux coupés sur une seule tête durant toutes ces années et l’on ne s’en trouverait pas plus avancé. Ni mieux reposé.
La caisse express ne délivre plus que des rubans de papier vierge. Face à son capot ouvert l’humanoïde semble avoir perdu un œuf. Clignote un clignotant, puisque telle est sa fonction, l’humanoïde porte des lunettes et une coupe rase de militaire en pré-retraite. Trois bananes pour zéro euro et quatre-vingt-douze centimes, il faut le savoir.
Le moins possible suffit. La destination, par exemple, est une information superflue. Les liens d’amour, d’amitié ou de défiance ne sont pas aussi déterminants qu’on pourrait le croire. En revanche, la question est cruciale de comprendre pourquoi la vitre ménage un jour par où entrent les abeilles. Et pourquoi ouvrir grand la portière plutôt que de fermer les yeux.

samedi 3 novembre 2018

3 novembre

Binh-Dû ne se sent plus de... De quoi ? De joie ? Va-t-il se mettre à croasser, à battre ses flancs de ses bras ? Pour sûr, il pourrait en faire un fromage, de ce courrier portant en toutes lettres les mots « excellente nouvelle ». Alors la joie, oui, en un sens convenu, nullement patareligieux – plus prosaïquement une euphorie. Un yoda lui adresse depuis la montagne son approbation, depuis la montagne on aperçoit les arbres de la plaine et celui de Binh-Dû s’y distingue, et Binh-Dû est encouragé à étirer encore ses branches.
Gare à la vanité, au début on vous complimente et très vite vous lissez vos plumes à votre propre salive. Pour autant, de nouvelles perspectives s’ouvrent ; où porter à présent une espérance propitiatoire ? (Binh-Dû est conscient de son prisme mystique, de même cède-t-il volontiers au charme puissant de la désuétude.) La question est rhétorique, sur un pense-bête la liste est faite. Pour l’heure, en ce début novembre adouci où le cerisier porte toutes ses feuilles, la fenêtre ouverte incite aux virevoltes ascendantes.

vendredi 2 novembre 2018

2 novembre

Ils se tiennent au milieu du carrefour, elle le regarde s’en aller et Binh-Dû sait bien ce qu’elle pense. Elle désapprouve. Elle déplore. Elle regrette. Elle s’attriste pour lui, qu’il continue à croire à ces fariboles patareligieuses, et qu’il reparte s’enfermer pour une nouvelle « retraite », qu’il s’imagine toujours avoir une vérité à découvrir. Her face is of a splendid depth.
Mais elle ne veut plus qu’il contemple son visage, du moins pas tant que le risque demeure de se perdre dans son regard à lui. Loin d’ici, sur un continent insulaire, une autre femme sort de l’eau, c’est le printemps, au soleil le sel sèche vite sur la peau. Elle rit, et sa petite fille accourt se blottir dans ses bras. C’est une femme aimée, née pour le rire, qui revient à la vie.
Y a-t-il rien de plus simple que d’aller à la rencontre des êtres qu’on aimerait ? Une chanteuse parmi d’autres, par exemple celle-là garde le sourire même quand elle parle, nul doute qu’elle en gratifierait Binh-Dû. Puisqu’elle n’a pas connaissance de son existence c’est lui qui devra faire le premier pas, enclencher l’évidence. Il hésite encore, la foule du carrefour l’enserre.

[merci à Léopoldine]

jeudi 1 novembre 2018

1er novembre

            Binh-Dû réfléchit à ce qu’il demandera, quel vœu précis lui vaudra d’être exaucé. Car il ne suffit pas de balbutier l’amour, la santé, le bonheur, tel le premier ingénu venu.  Il a fermé les yeux, rien ne presse, il occupe une bonne position dans la file d’attente immobile. Mais n’est-ce pas son train qui arrive soudain et fait vibrer le plafond du sous-sol ? Vite, Binh-Dû se dégage, gravit quatre à quatre les marches menant au quai, la sonnerie retentit, les portes se referment, il pourrait encore s’agripper au dernier wagon... Mais non, la destination affichée n’est pas la sienne.
            Autant se demander pourquoi les femmes le quittent. Lui, si amoureux, si attentionné, si prodigue de son temps et de son écoute. Si drôle aussi, toujours le mot pour rire ! Tu donnes le sentiment de vivre à côté de ta vie, au début c’est séduisant puis cela devient angoissant. Ne lui a-t-on jamais dit. Tu entretiens une forme d’indépendance à toute épreuve, comme si on ne pouvait pas vraiment t’atteindre, et en même temps tu n’exiges rien, c’est déroutant. Ne lui fut-il pas vraiment reproché. Puis-je te faire confiance ? À quoi il ne répondit pas de façon convaincante.

mercredi 31 octobre 2018

31 octobre

            Les morts sont à la fête, ils font même sourire la famille syrienne serrée sous une couverture près de la grille d’aération du métro. Quant aux petits enfants noirs, ils rient de se voir si verts dans le reflet d’épouvante des vitrines. Binh-Dû sent la froideur lui empoigner les os, il a bipé trois fois sous le portique avant qu’on le laisse sortir du grand magasin.
            Certes il avait volé quelque chose, mais c’était pour gagner du temps. Et de toute façon, il rapportera ni vu ni connu cette chose, intacte après usage, ne pourrait-on pas lui faire confiance une fois pour toutes ? Il est une personne fiable, en avance sur son rendez-vous. Il se promène au hasard en attendant, il se retrouve face à l’amie, entre eux le hasard est toujours le meilleur GPS.
            À la couette il superpose les couvertures. Trop frigorifié pour retourner le matelas en face hiver. Il faut croire que cela ne changerait rien. La maison est ouverte mais le jardin est différent. Il reconnaît à peine les pièces de l’étage, mais où est la mer ? Était-ce à la campagne ? Un feu s’éteint doucement dans son cercle de pierres. C’était le bonheur.

mardi 30 octobre 2018

30 octobre

            La nuit est un voyage commencé tard, poursuivi dans l’illusion d’une paire de volets fermés. Et Binh-Dû s’étonne encore qu’il ne soit pas midi passé, plissant les yeux face à l’aveuglement du soleil. La buée a séché sur les vitres. Dehors, l’âcreté de l’air incite à manger du poulet, chair rissolée dans l’huile d’olive.
            Au passage à niveau, il contemplait une bouteille en plastique vide, méditant d’y graver un message. Le crissement du stylo sur le PET, il se le représentait clairement, mais ce qu’il aurait à dire ? Peut-être eût-ce été en rapport avec la fille aux cheveux roux qui riait aux éclats en renversant la tête en  arrière – du fait de sa relative petite taille.
            Ou avec son père qui n’est plus qu’un point sur l’horizon – impossible de déterminer s’il s’éloigne ou se rapproche. La mer est d’un turquoise lagonaire, et sa paix est à l’unisson, pas même un poisson pour en troubler la surface. Paupières closes au seuil zénithal, yeux rouverts, ce jour s’absorbera donc en bleu pisseux.

lundi 29 octobre 2018

29 octobre

            Répartir mieux qu’en assentiment las. Avant le détraquage final. À chaque accointance sa catégorie, mais pour en tirer quelle conclusion ? Un nuancier d’auras ? La ville pousse au crime, rien de plus tentant que de céder et en même temps tous résistent, même les plus déshérités, les titubants, les sarcastiques, ils entretiennent le maillage qui les asphyxie. 
            S’il était moins craintif, Binh-Dû n’aurait pas été abordé par ces deux hommes armés de téléphones portables qui, en mode vidéo, lui demandèrent s’il kiffait Paris. Ou il aurait répondu différemment, aurait joué le jeu, aurait ri avec eux. Plus loin un immigré en gros pull cassait sa bière en s’effondrant dessus, de tout son poids.
            Il est bien trop poli. Il a déjà oublié son rêve de la veille, où se déroulait sûrement une scène effroyable, toute en cris et violence. Mais personne ne lui tient rigueur de sa réserve. Sauf peut-être celle qui l’aimait et qui en vient aujourd’hui à douter de sa propre capacité à aimer. Il voudrait la rassurer. Il aggrave son cas. Il prémédite les prochaines prudences.