Au
matin, une nouvelle fois, tout est pardonné. La honte n’a plus cours, les
courbatures s’ébrouent joyeusement, animales. Il a envie de courir malgré la
faim, de rire en dépit de l’oubli et de l’absence d’avenir. Il se souvient de
tempêtes lors desquelles mourir n’était plus une perspective si rebutante, valait
mieux peut-être qu’une éternité de tremblements. Il se souvient de nuits où il
n’était plus qu’un œil ouvert dans la pénombre, à attendre qu’un influx nouveau
vienne redéfinir les contours et la matière même de son corps. Il se souvient
d’avoir eu peur de l’effarante quantité de jours qu’il lui revenait de vivre –
tant que cela ! tellement plus qu’il n’en avait vécu ! comment
parviendrait-il à tenir si longtemps ? Il se souvient avoir failli,
croyant devoir.
Et puis
l’errance. La découverte de l’humilité, le voilage des miroirs. Ceci n’est plus
de l’ordre du souvenir mais de l’allègement. L’horizon vers lequel tu marches,
toi qui n’es plus que mouvement à l’intérieur d’un corps, absorbe les vaines
perspectives. Tu sais de quoi tu souffres mais tu en jouis non moins, et rien
ne te manque aussi cruellement que lorsque tu espérais résoudre un jour tous
tes problèmes. Il y a des noix de coco tombées au pied des arbres, et un
ruisseau d’eau pure, et des fruits, et probablement des tubercules sous la
terre. Il y a les plantations d’Alma (s’il n’a pas rêvé). Des réponses
multiples à des questions élémentaires. Si c’était un jeu, Binh-Dû en
contournerait les règles pour se promener inlassablement sur un territoire
exempt d’aventures.