Si c’est une île, il ne peut éprouver de honte. Il n’a pas à
se cacher. La solitude est le territoire de sa liberté, non un refuge. Mais si
c’était un continent il aurait besoin d’une carte. (Posons que l’ère des GPS
individuels appartient à un autre espace-temps, plus désolant que ne l’est un
désert.) Il déplierait sa carte sur le sol et évaluerait la possibilité d’atteindre
sa prochaine destination avant la nuit. Il serait pressé, il voudrait effacer
deux étapes en une seule fois, faire d’une pierre deux coups. (Il ferait fausse
route sans le savoir, en ne s’égarant pas, il concevrait sa marche comme une
série de coups vengeurs portés à la terre.) Il ne serait pas seul, ses
compagnons de voyage l’inciteraient à la modération, il les mépriserait, il
leur jetterait une paire de dés à la figure et se déterminerait en fonction du
résultat. Il serait fou. Il ne trouverait nulle part où fuir, toujours déçu.
Alma bien sûr est tout juste un prétexte, d’aucuns doutent même de sa réalité.
Certains l’ont vu nourrir les cygnes – quand elle vivait au bord d’un fleuve –,
d’autres se souviennent qu’elle leur donnait des coups de pied. Elle n’était
pas d’un tempérament facile, concluent-ils dans un rire non dénué de fierté.
Lui ne voit pas ce que cette histoire de cygnes vient faire ici, l’Alma qu’il a
connu doit être une autre personne. Les gens sont des cons. Il longe la plage
concave en direction d’un promontoire qui semble se reculer à mesure qu’une
brise légère souffle dans son dos. Il ne cherche pas de bateau à l’horizon. La
plage finit par s’interrompre, par les rochers on accède au sommet d’une
falaise. Là d’où il vient semble sans fin, devant lui un bras de mer s’enfonce
dans une végétation hostile. L’océan bombé présente l’aspect d’une cloque.