mercredi 13 novembre 2019

13 février


           Retrouvons-nous à deux. Retrouvons-nous à trois. Il faut toujours un supplément ou une correction : il ne faut qu’en de rares circonstances. Parlons de désir en toute décomplexion. Envisageons les tatouages, les piercings, les poils – cherchez l’erreur ?
           Un fantôme en tenue de latex commande un burger végétarien, une blonde en lunettes de soleil échoue à reconnaître l’œil de son chaman (ou c’est le chaman qui bafouille), la vieillesse se ratatine dans un éclat de rire, la jeunesse tutoie le vide.
           Nous sommes trois, dont deux du même sexe, qui descendons les marches. Il n’est pas question de sexe. Nous sommes trois, dont deux ne se connaissaient pas avant ce jour, les deux mêmes. Il y a de la sympathie. Il y a la connaissance commune.
           Ceci n’est pas une figuration théorique, nous sommes des êtres de chair et de sang, nos cœurs battent, nos âmes suivent, précèdent et batifolent, nos esprits fusent au ras du sol. Nous ne sommes pas de trop, aucun de nous.
           Et pourtant, si s’effaçait, des trois, celui qui porte le nous, il en concevrait une certaine satisfaction. Il partirait seul, à contre-sens, tandis que se tramerait en arrière de lui une heureuse progression de l’histoire.

mardi 12 novembre 2019

12 février


Faisons comme si nous étions en juillet, au cœur de l’été, et non pas dans un métro tortueux copiant les méandres du fleuve – en quel pays fané ? Les correspondances ne mènent qu’à d’aussi incertaines dérives, l’électricité tressaute entre les rails à l’arrêt. Au plafond on devine le poids des pas d’une foule qui rapetisse de plus en plus lourdement. Non, sortons de là ! Ramassons les fruits répandus sur le plancher lors d’un précédent cahot et, dès que les portes s’ouvriront, précipitons-nous à l’extérieur. Peut-être y verrons-nous plus clair. Peut-être te retrouveras-tu seul sous un ciel jaune. Là-haut, les localisateurs ne captent pas. Les champs sont durs comme de la pierre. Tu te souviens soudain que des arbres, il n’y en a plus, ni d’oiseaux bien sûr. Et le fleuve, coule-t-il toujours à l’emplacement que les cartes d’en bas indiquaient, ou était-ce juste une métaphore ? Non, non, tu t’es trompé, juillet ce n’est pas ici, ce n’est pas ça ! Tu le sentirais dans ton corps, une puissance un peu alanguie, un désir dans l’air. Un clin d’œil, tel celui promis à une amie, où sont tes amis ? Le « nous » devrait venir de toute part et passer un bras sur tes épaules. Faisons comme si l’amour était possible. Et tout ira bien. Oui ?

lundi 11 novembre 2019

11 février


Est-ce par lassitude que tu ne cèdes pas, pour une fois, à l’évidence du crime ? Auparavant tu te croyais fort, mais le courage n’est plus où il était. Tu cédais sans le savoir, et maintenant tu cèdes en le sachant, et le sachant tu ne cèdes plus. Tu n’as plus l’envie de te précipiter vers un éblouissant désastre, il est des rythmes plus lents que l’on ne découvre qu’à condition de s’amenuiser aux dimensions d’un animal discret. Un petit rongeur, un insecte, un oiseau qui ne chante que lorsqu’il se sent en sécurité. Les enfants courent par deux à travers le parc, l’un devant, l’autre à la peine. Les plus lourds sont lestés d’une mémoire de cheval, mais tous savent comment faire. Suffit de se propulser vers l’avant. À sa fenêtre une femme se retient, elle n’est pas sortie de chez elle depuis des jours. Elle ne parle plus qu’en réponse. Plus jeune, au moins la nuit elle vivait. Elle ne se souvient pas de la première fois où elle a pris, chez elle, appui sur les meubles pour avancer, ainsi qu’on assure sa prise autour des barres en inox dans une rame de métro. Cela tanguait. Et puis il y aura ce délicieux decrescendo du cœur, la plongée vers l’ailleurs. Une poésie rédemptrice... Hé ! Réveille-toi ! Regarde-moi !

dimanche 10 novembre 2019

10 février


Tu sens monter l’éblouissement, il ne sert à rien de résister. Il serait vain de grappiller encore quelques images, celles qui seraient les dernières, qui s’inscriraient sur ta rétine une bonne fois pour toutes comme une ultime photographie, un tableau achevé, une allégorie de tout ce qui appartiendra – appartenait, appartient – définitivement au passé. Non, arrête-toi, ferme les yeux, vois ton souvenir immédiat tel qu’il fut : une rue pavillonnaire, des voitures garées, des arbres de bordure. Observe la montée de la lumière, un point central au début, qui s’élargit aux dimensions de ton cerveau, qui irradie d’une intensité solaire. Les couleurs varient selon la pression de tes paupières sur les globes oculaires, c’est aussi parfaitement indolore que si tu étais couché sur ton lit de mort. L’apex hésite entre deux aventures opposées. Puis l’ombre revient, tel un nuage, une ambivalente déception. Quand tu rouvres les yeux, la rue est toujours là, tu peux avancer. Tout semble recouvert d’un pollen fleur de souffre. Et la question demeure, tandis que tu regagnes un point de départ : cherches-tu des raisons pour l’ailleurs ou des raisons pour ici ?

samedi 9 novembre 2019

9 février


Dans la ville personne ou presque ne pense plus aux fleurs, ou alors comme à des objets utilitaires de moyenne qualité. Ces fleurs-là poussent sur le pétrole. Les voitures-balais sont escortées par des soldats marchant au pas, devant eux s’éloigne, désabusée, une rumeur non moins rythmée. Les bris de glace scintillent sous l’averse et le soleil qui perce, comme soustraits à la banque. Un chien dessine avec ses entrailles des arabesques sur le macadam, d’une écriture coquelicot. Depuis les fenêtres des étages supérieurs on rigole un peu nerveusement, et on se replie à l’intérieur quand une caméra pivote. Derrière les palissades de chantier une grue se tient immobile, elle défend les statues de grands hommes de pierre ébahis par leur postérité. L’avenue, resserrée la veille encore par une toute neuve piste cyclable, exhibe à présent ses pavés. Les gens avancent à contre-sens dans le flux coordonné d’une foule, quelques rares oiseaux survivants observent l’agitation avec attention. Mais toi tu n’as pas le temps. Tu cours au-devant de l’averse afin qu’elle cingle plus fort ton visage. Tu tends aux assassins le bâton pour se faire battre. Tu leur souris aimablement, ils te renseignent. Si perdus semblaient-ils, tu repars avec tous tes doigts.

vendredi 8 novembre 2019

8 février


L’été dernier on prenait le vélo pour aller à la plage. Le mec me dit « Je comprends, moi aussi j’ai travaillé dans la restauration ». En ce moment je dors comme c’est pas permis. Ça paraît loin mais en réalité c’est tout à fait faisable. Comme si ça lui donnait le droit de me draguer, non mais tu imagines ? C’est genre neuf, dix heures toutes les nuits. Oui mais tout de même vous en aviez pour combien de temps ? Ils se croient tout permis les bâtards. Une nuit de neuf heures je ne sais pas depuis quand cela ne m’est plus arrivé. Ça dépendait, parfois on s’arrêtait en chemin. Donc le mec continue, il me dit « Et ça vous arrive d’être payée en heures sup’ ? » Oui mais tu vois, là je sens que mon corps en a besoin. Deux heures et demie à peu près. Mais est-ce que je lui demande s’il lèche le cul de sa chienne ? Mon corps aussi, il en aurait bien besoin, c’est juste que je ne peux pas avec tout ce que j’ai à faire dans une journée ! Je crois que je n’aurais pas eu le courage. Tu aurais dû ! Bien sûr, et comment ça se passe avec Lucas ? En même temps, la piscine ça craint, surtout pendant les vacances. Bref, je le calcule plus, je continue mon taf, à un moment je le vois qui se barre avec ses potes et il me fait un clin d’œil. Toujours pareil, ce qui n’arrange rien. Tu devrais venir nous voir. Je vais débarrasser sa table, et devine combien je trouve en pourboire ? Ce n’est pas ton anniversaire, bientôt ? Je crois que je vais rester ici. Quatre-vingt-cinq centimes d’euros. Ça tombe un lundi.