mercredi 18 mars 2020

un sentiment vrai, ça se cache ou ça hurle


18 juin

           Toute cette pompe – funèbre. Ces paroles lénifiantes, acidulées, respectueuses d’une immémoriale tradition de mensonges. Ces airs contrits, obligés, tellement dociles. Irréprochables. Mais ôtez-vous de là avec vos condoléances surfaites, vos embrassades affectées, bas les pattes ! Tous ces sentiments mesquins, ces larmes égoïstes, cet entre-soi pusillanime. Ces rituels grotesques – et voilà que deux pingouins s’avancent, chacun une visseuse électrique à la main. On regarde clore le couvercle, zzzzz, avec un petit frisson empathique.
           Un sentiment vrai, ça se cache ou ça hurle. Mais d’où sors-tu une telle affirmation, te demande-t-on, peiné. De la place du mort ! Mais je voulais plutôt parler de Charlotte. Un soir elle ne tenait plus sur ses jambes, un teufeur sobre a proposé de la raccompagner en voiture. Elle souriait, riait de son élocution relâchée, elle a proposé de trouver un bar sympa, voire une porte cochère afin de baiser un petit coup, vite fait. Quand elle a compris qu’il se garait dans sa rue, elle s’est débattue en donnant des coups de poings sanglants sur la vitre.

mardi 17 mars 2020

il y a de la colère, non ?


17 juin

           Il y a de la colère, non ? Cette femme qui a connu l’exil n’en finit pas de devoir se battre, faisant des projets, un mariage, son chemin. Elle porte des bagues sur toute sa dentition suite à une opération de la mâchoire qui a mal tourné, elle en a encore pour six mois – il y avait du biais dans la symétrie de son crâne. Se dispenser de l’opération eût été dangereux pour son cœur, le sang prompt à s’empoisonner. Malgré les bagues, les migraines ne diminuent pas, ni le courage. Elle en rit, commande un panaché, vérifie l’heure avant d’aller chercher les enfants à la crèche.
           Les Africains guettent les flics qui voudraient confisquer leurs tours Eiffel. Quelques touristes achètent. Comme tu vis tu meurs, et la colère est en lisière. Tu iras à l’enterrement de ton père et tu feras des efforts surhumains pour ne pas cracher sur les paroles du prêtre. Devant la tombe, l’onction d’hypocrisie tu ne la supporteras plus, Rentrez chez vous, reprenez vos gerbes ! On essaiera de te contenir, de t’emmener à l’écart, tu frapperas, Assassins, minables, collabos ! Tu les chasseras, avec leur chagrin. Mais c’est de Charlotte que je voulais continuer à parler…

lundi 16 mars 2020

elle ne sait jamais si le portique de sécurité va sonner


16 juin

Elle ne sait jamais si le portique de sécurité va sonner (pourtant elle devrait s’en douter, depuis le temps !), plus exactement elle ne sait jamais à l’avance ce qu’elle va trouver dans son sac. Cette fois c’est un agenda soldé, et le livre d’un auteur qu’elle ne lirait pour rien au monde, c’est absurde, presque honteux, comment imaginer qu’elle ait voulu voler une telle daube ? Le vigile ne partage pas son hilarité, alors elle insiste, essaie de lui concéder qu’après tout, ça pourrait se comprendre si son intention était de soustraire à l’achat un bouquin susceptible de contaminer des lecteurs innocents, mais alors il y aurait du boulot, hein, ce seraient les écuries d’Augias ! Le vigile n’a pas l’air de comprendre. Pourtant cet auteur, là, il nous méprise tous les deux, il faut que vous le sachiez, on est du même côté vous et moi, et lui c’est l’ennemi. Montrez-moi votre ticket de caisse, mademoiselle. Décidément, il ne comprend pas... C’est un autre livre qu’elle était venue chercher, et il ne se trouve pas dans son sac, pourquoi cette substitution ? Elle se souvient qu’elle a payé avec un billet de dix et qu’on lui a rendu des pièces, elle était étonnée que ce soit si peu cher. Sans doute à cause de la démarque sur l’agenda, là ce serait cohérent. Mais elle n’a aucun besoin d’un agenda en juin, ce qu’elle voulait c’était cet autre roman qu’elle ne trouve pas. Charlotte protestera si bien qu’elle ne paiera pas le livre infâme mais celui qu’elle désirait à la place – et qui était plus cher ; en revanche, on ne lui reprendra pas l’agenda.

dimanche 15 mars 2020

au balcon tu fais les cent pas


15 juin

        Au balcon tu fais les cent pas, près de la régie. Sur l’estrade, en contrebas, un énarque plaide sa bonne foi, son cœur généreux et sa grande modestie, tu fulmines. Car tu le connais mieux qu’il ne se connaît lui-même, tu sais sa duplicité et l’étendue des crapuleries commises. Tu sais les conséquences qu’il nie, cet homme si préoccupé de son « humanisme » a directement contribué à ruiner des vies déjà en souffrance. Et le voilà qui s’applique à séduire l’auditoire, qui se masturbe sur sa propre image. Vas-tu l’interpeller soudain, faire scandale ?
         Non, tu te rassois, tu n’es pas venu pour ça, tu es venu pour la romancière qui lui succède et lui serre la main au passage, elle non plus n’est pas venue pour la guerre. Elle, mieux que toi, sait contenir sa colère. De même l’amie que tu retrouves dans un parc où des comédiens sortent pelles et brouette pour conter un état du monde désastreux. Vous riez et ce n’est pas par sophisme, vous pleurez et ce n’est pas résignation. Vous partagez des espérances résiduelles et la vibration de l’instant, autour d’un vin chaud. Mais je voulais parler de Charlotte…

samedi 14 mars 2020

il va de soi que Charlotte ne se nomme pas Charlotte


14 juin


Il va de soi que Charlotte ne s’appelle pas Charlotte en réalité. On l’imaginerait mal gambader sur la pelouse devant l’abbaye, alors pourtant que le ciel, enfin, s’y prête, dégagé – pas même un défilé de monstres effilochés. Charlotte à cette heure matinale dort, elle a dansé toute la nuit dans un entrepôt reconverti, a pris quelques cachets, d’incertaines poudres blanches, elle a beaucoup bu, un peu vomi, mais à part ça, ça va. Sur un petit meuble à côté de la table du petit-déjeuner, une jeune femme en noir et blanc ne semble pas remarquer l’odeur du pain grillé. Elle s’applique à sourire humblement, en demi-profil, regard porté au-delà du cadre de la photo, elle porte une robe fourreau, assise sur une fesse, élégante mais convenable. Trop moderne toutefois pour être la Léonie de l’abbaye. On devine le photographe donnant ses instructions, et peut-être la mère en retrait derrière l’appareil, soucieuse que sa belle-famille mesure l’honneur des fiançailles consenties. La jeune femme n’est pas particulièrement jolie mais elle a l’air poli, et elle sait se tenir. Binh-Dû met ses mains en porte-voix pour attirer l’attention de la scénographe sur la passerelle de la gare ferroviaire. Elle porte un sac à dos et un prénom de fruit, ils ne s’étaient encore jamais vus mais c’est bien elle qui se retourne. Elle qui attend sur le parking du centre commercial pendant qu’on achète des brosses à dents par paquet de quatre, comme on avait acheté des citrons bios – obligés. Elle dont les sourires circonstanciels dénotent bien plus de caractère que ceux de la fiancée sur la photo. Les moustiques en essaim ne s’y trompent pas, à l’heure de l’apéro. Choix de trois sangs à présent, de qui est celui, écrasé, qui tache la claque ? Tu te replies entre quatre murs, puis dans ta voiture, tes amies agitent la main en signe d’adieu. Aux abords de Paris, une fourgonnette te somme de t’écarter à force appels de phare, puisque tu es seul tu n’obtempères pas. On te jette une canette de bière à plus de cent kilomètres/heure – qui n’atteint que ton rétroviseur.