dimanche 5 avril 2020

entre les nids de guêpe et le rivage friable


5 juillet

Comparaison de doléances, échange de politesses : « Cela a dû être difficile pour toi, moi au moins c’était simple – ma mère avait tenté de me tuer. » Comment en vient-on à formuler entre la darne et les œufs au lait un tel énoncé paisible ? On dirait une réflexion post-mortem – telle fut la vie que j’ai vécue – mais sans doute est-ce juste ce ton particulier qui est l’apanage des survivants. Et toujours un choix de révélations plutôt que d’autres, des baobabs qui masquent un taillis de ronces, d’autres inquiétudes tellement plus vivaces qu’on ne songe même pas à s’en dépêtrer par des questions au lieu de confidences.
Entre les nids de guêpe dans la terre du sentier et la friabilité du rivage, où poser le pied ? Entre les nudistes mateurs et la plaque de mazout, où se baigner ? Entre les poules du jardin (et leurs petits noms) et le poulet au four (anonyme), que reluquer ? Entre deux postes de télévision dans les chambres mitoyennes, quelle oreille aplatir sous l’oreiller ? Entre le son des téléviseurs et le chant d’un oiseau vespéral dès que tu ouvres la fenêtre, le choix est aisé, mais entre le son des téléviseurs et le vrombissement du moustique entré par la fenêtre ? Entre rêves et cauchemars, entre réveil trop tôt et réveil trop tard…
Ah mais en fait de mazout c’était de la tourbe ! De la bonne tourbe bien noire, ruisselante, compacte, surgie de sous un repli de sable. Ah mais en fait de guêpes c’étaient des abeilles maçonneuses, sauvages, un peu solitaires, menacées (comment mieux signifier la menace qu’en s’enfouissant dans un trou ?). Et l’un des canards jumeaux est plus gros que l’autre. Et les chats ne mangent pas les poussins. Et les poules savent attraper au vol les frelons. Et le chien n’est pas si vieux ni si baveusement affectueux. Et trois faucheux ont échappé au balai. Et la pluie, si brève fut-elle, a complètement délavé le ciel.

samedi 4 avril 2020

dans son jardin elle ne compte plus les poules


4 juillet

Dans son jardin elle ne compte plus les poules, enfin si, à ta demande. Elles sortent de trois poulaillers distincts, qu’on rouvre au matin quand le renard est parti se coucher. C’est complexe, gérer les incompatibilités, les cruautés, les jalousies. Car il y a des coqs aussi, qui se crêpent la crête. Il y a des viols, des œufs à couver, d’anciennes pondeuses traumatisées qui ne pondent plus. Les canards sont faciles à compter, toujours ensemble tels deux jumeaux. Les chats vaquent ici et là, sept à domicile. Et un vieux chien de berger.
« Le mec, il est torse nu… avec une chaîne en or dessus… alors qu’il roule en vieille Twingo ! » s’esclaffe un adolescent en skate. « Virginie tu m’écoutes ? Ça commence à bien faire… Ma main va partir toute seule ! » morigène un père dépassé. Si tu penses "s’esclaffer" et "morigéner", c’est que tu es toi-même complètement largué. Ta propre chaîne en or supportait une médaille de baptême. Et tu ne te résous toujours pas à laisser dans ton assiette le moindre grain de riz, malgré le regard implorant des poules.
Souvenirs de faim ou d’éducation ? En liberté un caneton s’aventure sur le fleuve, aussitôt suivi par sa mère. Elle se tient à distance, attentive, sans interférer. Une main qui part toute seule, personne n'a jamais observé tel phénomène, en parler est faire aveu d’incompétence. Dans la maison d’à côté se tient un conseil de famille, ils n’en peuvent plus de cette basse-cour et de cette voisine qui raye les carrosseries avec ses hortensias fantasques, et qui en plus reçoit des hommes, on ne sait pas qui ils sont, d’où ils viennent !

vendredi 3 avril 2020

l'extase attendait dans un chemin creux


 3 juillet

L’extase attendait dans un chemin creux tenant lieu de dépotoir, à quelques mètres d’une route départementale très fréquentée. Seul, tu observais le dessous des feuilles d’un frêne, les jeux de lumière, tu écoutais le chant d’oiseaux qui avaient choisi de bâtir leur nid ici plutôt qu’au sein d’une forêt plus paisible. Y a-t-il une définition extérieure de la paix ?

L’aigreur revint très vite, à peine modérée : les gens ne sont laids que parce qu’ils sont vulgaires. Mais Dieu qu’ils sont laids, face à la mer ! Et que ne soient pas épargnés ceux qui t’approuvent en déplorant l’instauration en 1936 des congés payés. Ceux-là puent encore plus avec leurs airs raffinés, leurs accessoires griffés, leur science du hâle de bon teint.
Mais alors, qui épargner ? Il y a des exceptions. Et chaque arbre, du fait de son insistance, serait remarquable. Finis-tu juste de formuler quand, sur la rive opposée, se met en branle une tronçonneuse. Tu marches à présent au bord d’un fleuve qui remonte dans les terres, mille boucles d’espérance comme autant de tentatives, mille méandres méditatifs.
Chaque arbre est remarquable à l’opposé du déjà-vu. Ce qu’il fallait démontrer ? Huit jours pour en arriver là ? Chaque arbre est remarquable, digne d’être épargné. Chaque homme est un arbre. Chaque homme, digne d’être épargné ? Eh bien non, justement. Chercher l’erreur. Une erreur qui ne serait pas toi – pour changer – ni d’autres innocents.

jeudi 2 avril 2020

pourquoi si ce n'est par orgueil


2 juillet

Quoi de plus absurde et révélateur de la folie de l’homme que d’avoir dédaigné le cycle lunaire pour y substituer un calendrier arbitraire aux angles carrés ? Pourquoi si ce n’est par orgueil et par haine de la nature. Tout le long suicide de l’humanité aura découlé de cette attitude. Pourtant ce matin, le temps semble reprendre son cours là où le soir l’avait suspendu. La mer est en train de descendre, seul le soleil a changé de direction, l’espoir inversé te rassure.
Vous étiez assis à une table au milieu d’inconnus (ce n’était plus le petit-déjeuner mais un repas du soir, et tu n’étais plus seul), tu l’écoutais raconter comment vous vous étiez rencontrés, perdus de vue, retrouvés. La conclusion, merveilleusement équivoque, inattendue, telle une précision subsidiaire mais voulant être proclamée à la face du monde afin d’en affermir la réalité, te réjouit en secret : « Et depuis, on ne s’est plus quittés ». Tu ne t’en lasses pas.
Deux papillons dansent sur le chemin. Tu as failli ne pas les voir, des papillons tu en as vu tellement… Et puis tu marches trop vite, on pourrait croire que tu veux en finir, forcer le passage de ta résignation. Ce n’est pas que tu sois déprimé, mais l’espoir te fait défaut. L’exaltation, le mysticisme, la rencontre avec le divin. Même l’idiotie bienheureuse te manque, oh le  lapin ! ah la fleur ! boire de l’eau c’est merveilleux ! En moyen terme tu trouves la morosité.

mercredi 1 avril 2020

aurais-tu besoin d'un stimulant en présence du sable blanc ?


1er juillet

Aurais-tu besoin d’un stimulant en présence du sable blanc, du bleu ciel et de la mer émeraude ? Pilule pro-érectile ou anti-dépressive ? Serait-ce interchangeable ?
Et un nudiste muni d’un détecteur de métaux, ça dit quoi ? Forcément ça dit quelque chose… En tongs ! Avec une montre-bracelet en argent ! Un piercing au prépuce ?!
Il semble que le dernier chic des cafetiers bretons soit de prendre les commandes avec l’accent marseillais. Y aurait-il un lien avec la recrudescence de nudistes radio-actifs ?
Le dernier outrage des publicitaires est de vous obliger à entendre une volée d’annonces quand vous vous servez en essence. Bientôt un bracelet de serrage couplé au pistolet pour vous empêcher de raccrocher ou de vous boucher les deux oreilles avant la fin du plein de réclames. (Bientôt, d’essence il n’y aura plus, ni de surconsommation, ni d’humanité sur ce qu’il restera de planète.)
« Il fait trop frais, dommage », disait-elle au seuil de la basilique, avant de retourner dans l’étuve du dehors. « Je souhaiterais… », penses-tu à propos de tel ou tel regret amendable, et de conclure « Dommage » alors que les portes d’un avenir différent sont grandes ouvertes. "Dommage", comme s’il n’y avait pas de "je" autre que spectateur ou comme si le "je" acteur était sous la coupe du "je" qui pense. Ça clive et ça creuse sa tombe – et ça n’est toujours pas de l’action.
Étranger à tes propres désirs, le sexe, les vacances au bord de la mer, que se passe-t-il ? Comme si le monde entier était devenu du "déjà-vu". Tu avertis un gros tatoué qu’il risque de marcher sur un nid de guêpes et son chien dénommé Monsieur se ferait piquer la truffe. La plage est égale à elle-même. Une fille longe le rivage sans en rien voir, absorbée dans son téléphone. Est-ce que toi aussi tu regardes la mer comme regardent ceux qui ne voient rien ? Un chien anonyme, éperdu de joie, vient déféquer à quelques mètres de toi. Faudrait-il que tu te fasses piquer par une guêpe pour être reconnecté à la gratitude, à l’enthousiasme et au sens de la beauté ?
Ou suffit-il d’attendre patiemment, ainsi que le suggérait ton amie, que cela revienne – un nouveau matin sur le vieux monde ? Tu fais des étirements sur la plage, ton dos se raconte qu’il en a besoin pour se rétablir. Tu es un ‘‘je’’ plutôt actif (sauf quand il s’agit de descendre prendre le petit-déjeuner avec des inconnus), serait-il tout autant efficace d’être humble ? (Et partant, de supporter sans révolte la canicule, même devant les portes ouvertes de l’abbaye.)
Il y eut un matin et il y eut un soir. C’est beau, tout de même, tu t’en souviendras. Le jour décline et la marée descend. Les ombres s’étirent, la lumière devient plus chaude que l’air, les vaguelettes brisent doucement. Le sable dore à affoler les détecteurs de nudistes, les mouettes volent sans détour. Une cloche sonne l’heure indécise. Tu n’as pas endormi toutes tes faims.
La suite te donnera raison. (Et tort, à toi de choisir.) Une fille sort de l’eau avec des pattes de canard.