vendredi 9 octobre 2020
Narcissus contrariata (19)
jeudi 8 octobre 2020
Narcissus contrariata (18)
mercredi 7 octobre 2020
Narcissus contrariata (17)
Pendant un instant rien ne se passa, rien de plus qu’un échange de regards circonspects, l’échange d’un seul regard. On aurait dit que tout était normal, hormis l’anxiété perceptible dans cette pièce étroite, sans échappatoire. Puis Jumien sentit un léger tic relever le coin gauche de sa bouche… et tout se détraqua à nouveau. Il ouvrit grand la bouche pour respirer, il implora une stabilité qu’il était le premier incapable de tenir, il émit un son misérable qui se répercuta contre les murs carrelés : ce visage en face de lui était impossible. Jumien ne pouvait en détacher ses yeux cependant, fasciné, horrifié, affligé par une parodie de lui-même qui tout en étant autre paraissait non moins affligée, horrifiée, fascinée. Il n’osa pas lever un bras, c’était déjà suffisamment pénible, même à peu près immobile ce Jumien bougeait en dépit du bon sens. Son visage grotesque révélait l’envers de celui qu’il avait cru être depuis toujours, c’était d’une impudeur insoutenable bien que sans autre témoin que soi. Une fracture catastrophique de la connaissance que Jumien avait de lui-même. Que restait-il à comprendre après ça ? Quoi rassembler, comment réparer les morceaux ? Qui pouvait-il continuer à être désormais ?
mardi 6 octobre 2020
Narcissus contrariata (16)
Elles étaient dispersées dans des placards, des tiroirs, des chemises. Sur l’ordinateur bien évidemment, mais il préférait éviter les écrans réfléchissants. Le temps d’en avoir le cœur net : son grain de beauté était apparu à l’adolescence, là, sur la joue gauche. Lors de l’anniversaire de ses dix-huit ans, il s’apprêtait à souffler les bougies. Il avait l’air si jeune, si vulnérable... Si peu armé pour affronter le monde. Pas très malin non plus... Mais le grain de beauté était à gauche, c’était une preuve ! À moins que les photographies les plus innocentes ne soient truquées elles aussi ? Soudain Jumien ne savait plus, est-ce qu’une photographie inversait la réalité comme un miroir ? Y avait-il un correcteur d’inversion ? Il laissa retomber la photo, découragé. C’était sa mère qui l’avait prise. Il y avait peu de photos de Sylvelle et de lui. Des centaines de Sylvelle, contenues ailleurs – dans le disque dur de l’ordinateur. Ils ne demandaient pas qu’on les photographie ensemble. Ils ne faisaient pas de selfies. C’était une preuve aussi, par l’absence, mais une preuve de quoi ? Il appréciait qu’elle ne soit pas jeune au point de faire des selfies mais il se sentait vieux avec son réflex qui ne faisait pas téléphone. Qu’est-ce que cela disait de leur relation ? Ils n’avaient pas besoin de photos d’eux ensemble. Il avait besoin d’elle, oh comme il en avait besoin ! C’était une évidence, pire : une urgence. Où était-elle ? Fallait-il l’attendre ?
lundi 5 octobre 2020
Narcissus contrariata (15)
dimanche 4 octobre 2020
Narcissus contrariata (14)
Il aimerait bien qu’elle soit là à côté de lui devant l’entrée de l’immeuble, ou en haut à l’attendre. Il ferait peut-être mieux de ne pas rentrer seul, ou bien si, justement, ce serait préférable ? Ce serait préférable s’il s’agissait d’aller se planter devant le miroir de la salle de bains. Qu’il n’y ait pas de témoin. Puisque ce matin elle n’avait rien vu, ne l’avait pas cru. Il ne voulait pas s’effondrer une fois de plus. Car elle le quitterait. Et ce serait normal, ils n’auraient plus rien à faire ensemble. Le pire, se rappela Jumien, c’était l’impression qui l’avait assailli quand ils se regardaient ensemble dans le miroir, de n’être pas assortis. D’être à eux deux une dramatique erreur, une méprise. Lui si tordu, elle si pareille à elle-même. Il ne voulait pas revivre un tel instant. Mais il fallait aussi qu’il en ait le cœur net : qu’est-ce qui clochait avec ce miroir, si ce n’est avec lui ? Jumien s’engagea dans l’escalier comme quelqu’un qui se rend à un rendez-vous indésirable et redouté, mais qui n’a pas vraiment le choix.