mardi 14 mars 2023

Rhizomiques #140

« Je sais ce que tu penses, disait parfois ma mère quand elle n’était pas sûre d’elle. Tu me détestes, pas vrai ? Ma chérie. Est-ce que tu me détestes ? » Et je restais plantée là, affichant l’expression la plus neutre possible tout en essayant de me rappeler à quoi j’avais bien pu penser parce que le fait qu’elle pose la question avait rendu la chose un peu vraie. 
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Le mal de vivre fredonné par ma mère tout en pelant des pommes de terre, avec le recul, ça me paraît complètement incongru, et poétique. C’est parce que ma mère a prononcé cette phrase inattendue venant d’elle – On ne discute pas avec les racistes, on les frappe – et parce qu’elle écoutait Barbara en épluchant ses légumes que je garde d’elle l’image d’une femme qui a cuisiné pour ne pas sombrer dans la dépression. 
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Dans l’un des albums de photos de famille, il y a un Polaroïd de Maman et Eddie, pris dans les années soixante-dix, quand les O’Jay’s étaient venus en ville. Maman avait réussi à accéder aux coulisses après le concert et Eddie avait signé la photo. (…) Il porte un costume blanc à longs revers, torse nu dessous. Son bras entoure la taille fine de Maman et il fait un grand sourire à l’appareil photo. Maman fait un grand sourire à Eddie. Quand Fille était petite, elle sortait de temps en temps l’album et contemplait la photo, preuve que Maman avait un jour été heureuse. 
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Ma mère devenait si différente. Elle ne se ressemblait plus. Elle qui était plutôt voûtée dans la vie, n’avait pas en scène le même corps : droite, soudain plus grande. Au théâtre, on se transcende. Ailleurs on peut au mieux se dépasser. Sur scène, on passe de l’autre côté d’une frontière. De l’ordre de l’invisible. 
 
Aimee Bender (in Un papillon, un scarabée, une rose)
& Nathalie Kuperman (in La loi sauvage)
& Deesha Philyaw (in Quand Eddie Levert viendra) 
& Emmanuel Demarcy-Mota (entretien dans Télérama du 8/07/20)

vendredi 10 mars 2023

Rhizomiques #139

Maurice avait assuré à ma mère en gloussant qu’il ne l’épousait pas pour avoir une cuisinière à domicile. Un homme qui dit ça à une femme pense de lui qu’il est un prince. Mais ma mère avait haussé les épaules. Elle avait répondu qu’il regretterait vite de reléguer la cuisine au rang d’affaire mineure. Il l’avait prise dans ses bras pour lui couper la parole. Ma mère m’avait regardée par-dessus son épaule. Ses yeux m’envoyaient un message : Ne te trouve jamais dans cette situation humiliante.
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J’espère qu’il ne va pas se mettre à me raconter ce qu’il y a dans le journal. (…) Les infos, ça ne m’intéresse pas. L’ignorance, quel bonheur. Je le connais, il va passer le seuil de la cuisine – fais chauffer l’huile, Kim Clarke, et quand il arrive, flanque les oignons et les échalotes dans la poêle, et le PSSSSSSHHHHH étouffera ses paroles. Je dirai quoiiiii ? et il se répétera, et je dirai quoiiiii ? en ajoutant un peu d’eau pour faire crépiter l’huile, ce qui l’effrayera et, avec un peu de chance, lui fera oublier le sujet. Si les mouettes étaient encore là, il s’empresserait d’aller les chasser et je pourrais lui poser une de ces questions stupides comme : est-ce qu’il y a des mouettes en Amérique ? Le genre de question qui fait que l’homme blanc sourit, opine, et explique. Est-ce qu’il y a des vélos dans ton pays ? Est-ce qu’on roule sur les grandes routes ? Est-ce qu’on passe Les Monstres à la télé ? Et Wonder Woman ? Quelle hauteur la statue de la Liberté ? Avez-vous des routes à quatre voies ?
Respire à fond. Relax. Tout va bien.
- Y a un drôle d’article dans le Star, aujourd’hui, dit-il en entrant.
- Chéri, tu es sûr que tu ne veux pas te changer ?
- Tu te prends pour ma mère, maintenant ?
Il sourit.
- C’est toi qui as fait peur aux mouettes ? dis-je.
- Elles t’ont encore embêtée ?
- Pas plus que d’habitude. Quel genre de mouettes vous avez dans l’Arkansas ?
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Quelquefois, comme tous les adultes, elle se croyait obligée de me donner des conseils, ce qui dans le cas de ma mère me laissait souvent perplexe. Je l’entends me dire qu’il fallait apprendre à exister sur la frontière entre l’amour de ce monde et le désir de vivre dans un autre, complètement différent. Je sentais que si je lui avais demandé ce qu’elle voulait dire par là, sa réponse aurait englobé plus que je n’avais envie d’en savoir.

Nathalie Kuperman (in On était des poissons)
& Marlon James (in Brève histoire de sept meurtres)
& Francine prose (in L’été d’après)

mercredi 8 mars 2023

Rhizomiques #138

Le mot baashkisisge – éjaculation en chippewa – désigne aussi le tir d’une arme à feu. Le mot biinda’oojigan – capote – veut aussi dire étui de révolver. Millie consignait tout ça dans son cahier, fascinée. 
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- Il y a tout un tas de superstitions autour du mariage. Le voile protégeait la mariée des esprits malfaisants. Les demoiselles d’honneur étaient censées confondre le diable au cas où il serait venu enlever la mariée. Et la longue traîne entravait la fuite de la future épouse, s’il lui prenait l’envie de se carapater. 
- Waouh. Certains hommes souffrent vraiment d’un gros manque de confiance en eux. 
Je ris. 
- L’expression "accorder la main de sa fille" en dit long sur la nature de l’acte, non ? C’était un transfert de propriété, ni plus ni moins.  
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La Maison rêvée à la manière d’une épiphanie 
Une majorité des violences conjugales sont parfaitement légales. 
 
Louise Erdrich (in Celui qui veille) 
& Jodi Picoult (in Le Livre des deux chemins) 
& Carmen Maria Machado (in Dans la maison rêvée)

jeudi 2 mars 2023

Rhizomiques #137

 - Généralement, les garçons ne tiennent pas de journal intime, dit Wharton.
- Je sais pas trop. » Joe éclate de rire. « Les pédés, peut-être que si. »
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    Un type plus âgé se tenait devant l’urinoir, gros, mal assuré sur ses jambes. Je lui jetai un coup d’œil et entrai dans une des cabines. Je l’entendis terminer. Il m’entendit pisser. Il donna un coup de pied dans la porte et cria : TU ME PRENDS POUR UN PÉDÉ ?
    Je ne réagis pas. Une seconde plus tard, il quittait bruyamment les toilettes, la porte battant derrière lui. Je remontai ma braguette et sortis. J’étais en train de me laver les mains quand il revint. QU’EST-CE QU’ELLE A DE SI PRÉCIEUX, TA BITE, QUE TU VEUILLES LA GARDER POUR TOI ?
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Il ne prend même plus la peine d’uriner assis maintenant qu’il a commencé à se lever la nuit pour aller aux toilettes, il préfère la réveiller en pissant comme un cheval plutôt que s’asseoir comme une femme rien qu’une fois. La cloison est mince, dit-elle, j’entends tout, c’est pas sympa. C’est rebutant d’être allongée là à écouter le jet agressif de quelqu’un qui pourrait parfaitement s’asseoir mais s’y refuse parce que dans sa tête la police de la virilité l’épie même en pleine nuit, par la fenêtre ou tapie dans le panier à linge.
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Il n’était pas sûr de lui : il ne pouvait plus marcher sans réfléchir à sa démarche, à l’assurance de ses pas. Sa posture était-elle assez virile, se demandait-il, et sa poignée de main assez ferme, mais pas au point cependant de suggérer un défi vis-à-vis des inconnus, qu’il aurait transmis par sa paume et par ses doigts. Et une fois les présentations faites, il avait pris soin de détourner le regard le premier et de fixer le sol à ses pieds, et ce petit geste l’avait laissé diminué, crispé à l’extrême.
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    Toute cette masse d’écriture de compensation nommée : Journal intime répugne à l’homme du Journal de bord rustique et sans secret. Oui, les écrits souterrains de la fraction minoritaire d’une société ont toujours été craints par la fraction majoritaire "virile" de cette société ! Les détenteurs du pouvoir n’ont jamais accepté le chuchotement solitaire, car le chuchotement solitaire est subversion, il échappe au contrôle. (…)
    Le "Journal viril" est science, le "Journal féminin" est conscience. L’un est trace d’une prise de pouvoir sur le réel ; l’autre, trace irréelle du possible contre-pouvoir que représente toute personne solitaire. Le "Journal viril" s’élargit au nombre, le "Journal féminin" se rétrécit à la part la plus aiguë de la personne sensible. L’un devient Histoire, l’autre implicite mise en accusation des "valeurs".

John Woods (in Lady Chevy)
& Jeanette Winterson (in FranKISSstein : une histoire d’amour)
& Sarah Moss (in Encore un jour de pluie)
& Donal Ryan (in Par une mer basse et tranquille)
& Serge Rezvani (in Les repentirs du peintre)

mardi 28 février 2023

Rhizomiques #136

- On va voir quoi ?
- Qu’est-ce que tu dirais de Brokeback Mountain ?
- Bien sûr, bien sûr.
- Ça signifie quoi, ce « bien sûr, bien sûr » ?
- C’est ce qu’on dit d’habitude. Quand quelqu’un fait une blague idiote.
- J’ai fait une blague idiote ?
Et là j’ai compris qu’elle parlait sérieusement. Elle voulait réellement qu’on aille voir Brokeback Mountain. On avait déjà commencé à surnommer "Brokeback" un des profs de sciences, parce qu’il était bossu et que tout le monde se doutait qu’il était pédé.
« Tu sais de quoi ça parle, quand même ? j’ai dit.
- Oui. Ça parle d’une montagne.
- Arrête, maman. Je peux pas aller voir ça. Je me ferais massacrer demain.
- Tu te feras massacrer si tu vas voir un film sur des cow-boys homos ?
- Oui. Parce que la question est : pourquoi je vais le voir ? Et il y a une seule réponse, pas vrai ?
- Seigneur, a dit ma mère. Ça vole vraiment si bas au lycée ?
- Oui », j’ai dit. Parce que ça volait vraiment si bas.
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- Je peux voir une photo d’elle ? demande anaana [la mère de la narratrice]
Nous sommes assises face à face à la table de la salle à manger. Je lui montre un portrait pris par un photographe professionnel.
- Oh, elle est belle comme le jour ! s’exclame-t-elle.
Je souris.
- Et elle est amoureuse de toi ?
Je confirme de la tête. Elle bondit de sa chaise et se précipite vers moi. Elle me serre fort dans ses bras. Elle place ses mains sur mes joues, me regarde dans les yeux. Je souris. Elle m’embrasse sur le front et hoche plusieurs fois la tête.
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Dans les quelques semaines qui ont suivi, nous nous sommes séduites en caractères pixellisés – une cour par voie virtuelle, mais en pure perte, croyais-je, parce que Susie était hétérosexuelle et que j’avais renoncé à faire œuvre de missionnaire avec les femmes hétérosexuelles. Il se passait quelque chose, mais je n’avais aucune idée de ce qu’il fallait faire à ce sujet.
J’ai déjeuné avec une amie, l’écrivaine Ali Smith. Elle m’a dit : « Embrasse-la. »
Susie s’est rendue à New York pour en parler avec sa fille. A quoi Liana a répondu : « Mais embrasse-la, maman. »
C’est donc ce que nous avons fait.

Nick Hornby (in Slam)
& Niviaq Korneliussen (in La vallée des fleurs)
& Jeanette Winterson (in Pourquoi être heureux quand on peut être normal ?)

vendredi 24 février 2023

Attentives #32

(Mon Dieu, ma sœur est GAY.)
(Je ne suis pas contrariée. Je ne suis pas contrariée. Je ne suis pas contrariée. Je ne suis pas contrariée.)
[…]
Je sors par la porte comme une personne (normale) qui sort par une porte (normale) lors d’une première journée printanière (normale) du mois de mai et je vais courir, ce qui est le genre de chose (normale) que les gens font tout le temps.
Et voilà. Je cours. Je me sens mieux. Je sens la route sous mes pieds. Là, là, là.
(C’est la faute de notre mère qui a quitté notre père.)
(Mais dans ce cas, alors moi aussi je suis peut-être gay.)
(Donc ce n’est pas ça, ce n’est pas ça du tout.)
(Je ne suis pas gay, c’est sûr.)
(J’aime vraiment les hommes, c’est sûr.)
(Mais elle aussi. Elle aussi, elle les aimait. Il y a eu ce petit copain, Dave, avec qui elle est sortie pendant des siècles. Et elle en a eu un autre, Stuart. Il y a eu celui qui s’appelait Andrew, et cet Anglais bizarre, Miles ou Giles, qui habitait sur Mull, et ce garçon, Sammy, un qui s’appelait Tony, et Nicolas, elle a toujours eu des petits amis, elle a eu des petits amis à partir de douze ans, bien plus tôt que moi.)
Je traverse au feu rouge. […]
(c’est bien comme ça qu’on dit, gay ? Y a-t-il un mot juste pour ça ?)
(Comment on sait si on l’est ?)
[…]
(C’est totalement naturel d’être gay, homosexuel ou un truc comme ça. C’est tout à fait admis à notre époque.)
(Les gays sont exactement comme les hétérosexuels, à part le fait qu’ils sont gays, bien entendu.)
(Elles se tenaient par la main à la porte.)
(J’aurais dû m’en douter. Elle a toujours été bizarre. Elle a toujours été différente. Elle a toujours été opposée. Elle a toujours fait ce qu’il ne fallait pas.)
(C’est à cause des Spice Girls.)
[…]
(Elle avait toujours été un peu trop féminine.)
(Elle écoutait toujours ce CD de George Michael.)
(Elle votait toujours pour les filles dans Le Loft, elle avait voté pour le transsexuel l’année où il y en avait un, ou la transsexuelle, je ne sais pas comment on dit.)
(Elle aimait le concours de l’Eurovision.)
(Elle aimait Buffy contre les vampires.)
(Mais moi aussi. Moi aussi, j’aimais bien. Il y avait dedans des filles, toutes deux    homosexuelles        elles étaient décrites comme très gentilles, et ça allait parce que c’était Willow et qu’elle était intelligente, on l’aimait bien et tout ça, et son amie Tara était très gentille, et je me souviens d’un épisode où elles s’embrassent, leurs pieds décollent, elles lévitent à cause du baiser, et je me souviens des bruits dégueu qu’il fallait faire quand on en a parlé le lendemain à l’école.)
[…]
(J’aurais dû m’en douter, elle avait toujours aimé les chansons qui parlent de toi et moi, au lieu de lui et moi, ou lui et elle, et on savait tous, on le disait au collège, que ça voulait tout dire, quand les gens préféraient les chansons qui avaient le mot toi au lieu d’homme ou femme, comme dans le vieil album de Tracy Chapman que notre mère avait oublié en partant et qu’elle passait sans arrêt avant son départ.)
[…]
C’est une journée formidable pour courir. Il ne pleut pas. On n’a même pas l’impression qu’il va pleuvoir.
(Ma sœur est gay.)
(Je ne suis pas contrariée.) (Je vais bien.)
(Ce serait cool, ça ne me dérangerait pas autant si c’était la sœur de quelqu’un d’autre.)
(C’est cool. Beaucoup de gens le sont. Aucun que je connaisse personnellement, voilà tout.)
[…]
(Je ne peux pas arriver à dire ce mot.)
(Seigneur. C’est pire que le mot cancer.)
(Ma petite sœur va devenir un vieux prédateur insatisfait, une femme desséchée et anormale comme Judi Dench dans ce film, Chronique d’un scandale.)
(Judi Dench joue tellement bien ce genre de personne, c’est ce que je me suis dit quand je l’ai vue, mais c’était à l’époque où je ne pensais pas que ma sœur allait devenir l’une d’elles et connaître une vie misérable dépourvue de tout amour véritable.)
(Ma petite sœur va avoir une vie misérablement triste.)
[…]
(Il y a aussi un personnage de femme médecin gay dans Urgences dont les amoureuses n’arrêtent pas de mourir dans des incendies ou des trucs comme ça.)
(Les gays n’arrêtent pas de mourir.)
[…]
Je me suis arrêtée. Je ne cours plus. Je suis immobile.
[…]
Je suis devant le passage piéton comme une personne (normale).
(C’est à cause de ceux comme ma sœur que le type qui possède la compagnie de bus Stagecoach a fait sa campagne à un million de livres partout en Ecosse avec des photos de gens qui disaient « Je ne suis pas borné mais je n’ai pas envie que mes enfants apprennent à être gays à l’école », ce genre de truc.
(Elles riaient. Comme si elles étaient vraiment heureuses. Ou comme si être gay, ça ne posait vraiment aucun problème, que c’était vraiment drôle, joyeux ou quelque chose comme ça.)
[…]
(Ils disaient dans le journal ce matin que les adolescents qui le sont ont six fois plus de chances de se suicider que ceux qui ne le sont pas.)
Je suis immobile devant le passage piéton sans la moindre voiture qui arrive, et je ne me décide toujours pas à traverser. Je me sens un peu étourdie. Je me sens un peu faible.
(Toute personne me voyant comme ça me trouverait vraiment bizarre.)
 
Ali Smith (in Girl meets boy)

mercredi 22 février 2023

Rhizomiques #135

A huit ans, je tombe amoureuse pour la première fois. (…) Un après-midi, après l’école, j’ai couru dans la chambre de ma sœur pour lui annoncer la plus grande nouvelle de toute ma vie. Je suis amoureuse de Charlotte. Je suis amoureuse de Charlotte. Je suis amoureuse de Charlotte. Presque instantanément, le visage de ma sœur s’est transformé, elle semblait avoir croqué un citron à pleines dents. Tu ne peux pas être amoureuse de Charlotte, m’a-t-elle répondu. Et alors que je n’avais eu aucun doute sur la beauté de ma découverte, je n’en avais désormais aucun sur sa laideur.
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Cela la terrorisait de proclamer devant le monde entier qu’elle était… au mot "lesbienne", elle était toujours tétanisée, comme une petite fille surprise à voler.
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Elle a eu envie d’embrasser sa nouvelle amie, une envie plus irrépressible qu’avec qui que ce soit. Une petite voix lui disait : C’est une fille. Arrête. Ça ne va pas. Une autre voix, plus forte, répondait : Je sais, et c’est la personne la plus belle que j’aie jamais rencontrée : pourquoi faudrait-il que j’arrête ?
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La zone grise, avais-je compris, était bien mal nommée : la zone grise était en fait un spectre de couleurs nouvelles pour les yeux. Robin paradait comme une fille. Elle rougissait comme un garçon. Elle avait la dureté d’une fille. Elle avait la douceur d’un garçon. Elle était aussi solide qu’une fille. Elle était aussi gracieuse qu’un garçon. Elle était aussi courageuse, belle et solide qu’une fille. Elle était aussi jolie, délicate et fine qu’un garçon. Elle faisait tourner la tête des garçons comme une fille. Elle faisait tourner la tête des filles comme un garçon. Elle faisait l’amour comme un garçon. Elle faisait l’amour comme une fille. Elle était tellement garçon qu’elle en devenait fille ; et tellement fille qu’elle en devenait garçon. Je n’avais jamais rencontré quelqu’un de plus juste, tout simplement.
 
Mathilde Forget (in De mon plein gré)
& Ludmila Oulitskaïa (in Le corps de l’âme)
& David Mitchell (in Utopia Avenue)
& Ali Smith (in Girl meets boy)