mardi 7 janvier 2025

Le ciel aussi est malhonnête

27 mai

    À l’aube, les oiseaux couvrent de leur chant le vrombissement du moustique. J’ouvre les yeux sur le paysage : c’est tristement laid. On dirait ce que c’est : une campagne irrespectée, une route sans caractère, des chantiers à plat, des bâtiments poussiéreux, des champs trop uniformes pour être honnêtes.

    Le ciel aussi est malhonnête, d’un bleu blanchi. Même l’étang où flottent des nénuphars semble une scène de crime, pas nette, même le sentier qui s’en va tout droit, bordé d’arbustes maigrichons, ne mène nulle part si ce n’est à un autre champ survitaminé et à un tas de gravats agricoles.
    Dans le taxi, ma chorégraphe est soucieuse, on prend du retard sur le périf. Mais on finit par arriver, je la retrouverai plus tard, au théâtre où elle dansera. Plus tard une amie me retrouve sur la place de la mairie, nous avons le temps de faire le tour d'un square anodin juste avant la représentation.
    Public bourgeois obéissant au rituel quand il faudrait n’applaudir qu’en enfants enthousiastes, les bras mal coordonnés, en sautant sur place tellement il y a de vigueur dans la joie. Ma danseuse-chorégraphe est un privilège généreux à qui sait regarder. Si le monde s’effondre, elle l’aura illuminé.

vendredi 3 janvier 2025

Une légère inflexion

 26 mai

    Le lendemain est une autre histoire, il suffit pour cela d’une légère inflexion des états d’âme au sein des corps. Il suffit d’ouvrir davantage le regard, de lâcher la bride aux pensées. De n’être pas d’accord parfois, emportés dans des mouvements imposés, et de signifier ce désaccord tout en accompagnant la fluidité des enchaînements.
    Il faut des mots pour habiter le silence de la danse, nous parlons. Nous cherchons, demandons confirmation, validons. Vers midi, une table est sortie au soleil, sur la dalle, vue sur le chantier où transpirent des ouvriers casqués. Les serviettes en papier s’envolent comme pour échapper à la poubelle jaune.
    Toujours cet étonnement de l’intelligence collective dans la création. Les solutions trouvées, les intuitions, les échanges. La beauté de tout cela. Nous serions bien en peine de manier un marteau-piqueur. Fin de journée, on danse encore, sur le sol de la cuisine. On joue aux cartes. Je m’applique à apprendre les règles, je perds ; c’est parfait.

jeudi 2 janvier 2025

C'est le printemps, tout de même

25 mai


   C’est le printemps, tout de même. Il y a du vert. Une gare parisienne où l’on arrive en avance, le matin, un square où dorment encore des exilés solitaires dans leur sac de couchage. Une dame promène un chat angora obèse.
    Le train traverse une ceinture urbaine épaissie d’année en année. Des champs taillés au carré entre deux zones industrielles. Au plafond, des diodes passent du bleu clair à l’orangé, en harmonie avec les teintes pastel des sièges. Personne.
    Le lieu de répétition était anciennement un corps de ferme. Des plaques de verre colorent le gravier. On laisse la porte ouverte, que pénètre la chaleur du soleil, que s’évacuent les particules virales. J’arrive après l’échauffement, les corps sont désireux.
    Ils dansent, ils sont jeunes, ils sont beaux. Je regarde, j’écoute, on parle. Il est question de danser, toute la journée. On avance, les tableaux se précisent ainsi que les intentions. Ces personnalités tellement incarnées, à découvrir.
    Le soir, nous allons voir un spectacle de cirque, tout s’y écroule. Passe et repasse un cheval blanc. On pleure, on rit. On évite d’écraser des lapins sur la route du retour. Nous avons, un jour de plus, survécu à l’effondrement en cours.

dimanche 29 décembre 2024

Interlude #21

 

D.R.

Mais comment l’attente,
qui n’est pas une action,
qui est la définition du fait que rien ne se passe,
simple intervalle entre des choses,
entre deux vagues de l’océan –
comment rien peut-il engendrer quelque chose ?
 
 Zia Haider Rahman (À la lumière de ce que nous savons)

dimanche 15 décembre 2024

A contre-saison #26

 ...

Ah, trop de travail par ailleurs, pas le temps de tenir ma promesse...

Les prochains textes arriveront après Noël.

***

En attendant - le temps d'une image de juin -

à l'opposé de notre position actuelle relativement au Soleil :

cette "contre-saison" du 15 juin

                                                                                                                               


Nous sommes habités par le vide inhabité de l’univers. Le dedans de la machine s’est rempli d’imaginaire – comme le miroir qui ne renvoie que de l’illusoire nous sommes remplis d’une même illusion. Nous ne sommes qu’un creux résonnant et réfléchissant qui ne peut se connaître et ne se connaîtra jamais autrement que par l’autour.

Serge Rezvani (in Les repentirs du peintre)

lundi 25 novembre 2024

Interlude

Bonjour aux visiteurs de passage.

Le blog reste ralenti.

Disons qu'il prend son temps.

Ou qu'il se cherche.

Et qu'il va se retrouver d'ici peu.

Disons que vers la fin du premiers tiers de décembre, une nouvelle série de petits textes originaux viendront (peut-être) prendre le relais des rhizomiques.

Faudra voir.

Merci, en tout cas, de patienter...



mardi 12 novembre 2024

Rhizomiques #195

Parler avec toi ! Je comprends maintenant, en t'écrivant, que c'est aussi cela qui me manque. Depuis que je t'ai rencontré j'ai compris à quel point je devais réduire auparavant mon langage, et si je ne t'avais pas rencontré, cette réduction se serait communiquée, avec le temps (c'est fatal : la parole est l'exercice qui renforce les idées), à mon intelligence. Parler avec toi, me promener avec toi, voyager avec toi est comme vivre deux fois et peut-être davantage.
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Dick, je n’ai jamais vraiment tenu de journal mais c’est si facile de t’écrire. Tout ce que je veux c’est que tu me connaisses ou que tu saches un peu ce que je pense, ce que je vois. « Et la lune de mon cœur resplendit », a écrit une courtisane japonaise du nom de Dame Nijo à la fin de ses confessions. Je n’aurais jamais cru qu’écrire puisse être une communication si directe mais tu es l’interlocuteur parfait. Mon partenaire silencieux, celui qui m’écoute aussi longtemps que je continue à décrire ce qui me passe réellement par la tête. Je n’ai pas besoin d’encouragement, d’approbation ou de réaction, du moment que tu écoutes.
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    J'ai compris que la conversation idéale évolue en spirales qui vont en s'élargissant à partir d'un propos dérisoire d'où s'élaborent des échanges plus significatifs. Le problème, naturellement, c'est la platitude trop fréquente de la conversation. Il est triste de voir à quel point nous nous répétons. Nous posons des questions dont nous connaissons la réponse. Nous nous sommes habitués à une communication horizontale, au degré zéro de la banalité, à la monotonie de l'insignifiance.
    Mon algorithme inverse les choses. Il transforme un interlocuteur en fonction cumulative, une force qui rattache les deux éléments de conversation qui précèdent et produit un élément plus grand et plus significatif. 0, 1, 1, 2, 3, 5, 8, 13, et ainsi de suite, n₁ + n₀ = n₂,  n₂ +  n₁ = n₃, n₃ +  n₂ = n₄, etc. À la place du mouvement horizontal de la plupart des échanges insignifiants, l'empathie reprend les éléments de conversation antérieurs, les rattache aux déclarations en cours, produit un nouvel élément et poursuit selon un puissant phénomène de torsion.
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    La Deluxe a beaucoup de vocabulaire. Environ deux cents mots. La Deluxe vous écoutera parler – football, politique ou je ne sais quoi. Elle attendra que vous ayez terminé sans vous interrompre, bien sûr, même si vous graillonnez un peu, et puis elle dira quelque chose d’intéressant.
    Comme quoi ? Oh, eh bien quelque chose comme : Tu es tellement intelligent, Ryan. Je n’avais pas envisagé les choses sous cet angle, Ryan. Tu connais bien le Real Madrid ?
    Ouais c’est ce que j’entends par éducation. Changement climatique. Brexit. Football. Ce modèle-ci est une compagne – et c’est comme ça qu’on fera avancer sa carrière au fur et à mesure des développements technologiques.

Goliarda Sapienza (in Miroirs du temps)
& Chris Kraus (in I love Dick)
& Louisa Hall (in Rêves de machines)
& Jeanette Winterson (in Frankissstein : une histoire d’amour)