samedi 14 juillet 2018

14 juillet


La tristesse s’abat à la fin du jour. D’avoir programmé une enfilade de lendemains jusqu’à l’apex du mois d’août, d’un coup s’y retrouver et c’est déjà le déclin de l’été. D’anticiper une séparation annoncée au cœur de la prochaine fête ; cela se passera ainsi, une dernière embrassade, un sac hissé sur le dos, un pâle sourire de part et d’autre, l’une montera en voiture et l’autre replongera dans la foule. Aujourd’hui même, après une journée ensoleillée, d’étreindre une femme qu’on ne reverra pas avant septembre et dont on esquive le risque d’un baiser.
Binh-Dû pourtant s’est réjoui d'entendre un couple de tourterelles si bien assorties, posées côte à côté sur un fil électrique. Il s’est empli de bonheur esthétique à la vue de danseurs tels de souples animaux plus libres qu’ils ne furent sauvages. Il a respiré le ciel et ses parfaits nuages. Assis sur un bloc de pierre taillé dans un gisement de fossiles, il s’est immergé dans une conversation essentielle. Il a étiré ses orteils autant que possible pour accroître l’aise de ses nouvelles chaussures. Rien n’y fit. Ses pieds chéris lui semblent trop petits.

vendredi 13 juillet 2018

13 juillet

Les accomplissements souvent passent inaperçus. Ni à l’entrée ni à la sortie le vigile ne repère qu’il y eut un avant et qu’il y a un après. S’abritant des premières gouttes de pluie qui tombaient aux abords du centre commercial, Binh-Dû fit des emplettes opportunistes, quand il sortit à nouveau dans la rue, de perpétuelles premières gouttes de pluie (vite évaporées) maculaient le trottoir. L’air est chaud, le vent souffle fort dans les nuages et le temps assèche les regrets. À plus forte raison quand une deuxième démarque efface l'initiale déception des soldes.
Quelle fut âpre pourtant cette négociation entre les principes spartiates de Binh-Dû et les exigences de ses pieds. Au final il trouva donc chaussures. Soldées comme il se doit, bien que d’une demi-pointure trop courtes. Il coupera les ongles de ses orteils. D’un pas allégé il arpenta les travées d’un magasin voisin où l’on n’accepte plus les chèques depuis deux ans et demi (ah bon, cela fait si longtemps que je vivais dans ma grotte ?), et s’offrit grâce à l’économie réalisée le disque détaxé d’une chanteuse aux pieds nus. La vendeuse lui rendit un sourire de connivence.

[merci réitéré et non moins perpétuel à Camille]

jeudi 12 juillet 2018

12 juillet

La sœur inventée serait un être de totale confiance, disponibilité, bienveillance. De même serions-nous un frère pour elle. Binh-Dû surimpressionné dissimule à l’extérieur de lui-même l’homme que nous sommes. Chez lui aussi, totale bienveillance, et cætera. Il est requis pour aller au bout de n’importe quel voyage, car il est habile à se contenter de peu. Il sait évoluer entre les plaintes et les appréhensions, pour tout dire ça le fait rire. Il n’aurait pas l’âme mélancolique, ni décisionnelle, ne serait pas du genre à affirmer une opinion ou à prodiguer un conseil.
La sœur réelle correspond assez bien à la définition de la sœur inventée. Diffèrent forcément la tonalité de songe propre à la seconde ainsi que le registre ambigu consistant à se proclamer frères et sœurs humains, de passage sur Terre. Binh-Dû apporte à l’homme que nous sommes un surcroît de biodiversité. Il sait que l’amour se pratique à plusieurs. Il a exploré les continents, les océans, il est en mesure de parcourir à rebours le temps qui les fatigue. C’est pour lui un jeu de paysages, certains, nous ne les soupçonnerons pas de notre vivant. « Mais le premier paysage, c’est toi. »

mercredi 11 juillet 2018

11 juillet

Binh-Dû est dans la ville, il respire une fois sur trois, entre deux émanations toxiques. Il n’y parvient pas très bien, il doit s’empoisonner à petit feu. Martyre de ceux qui ont les moyens de s’acheter de l’oxygène. Ces gens-là s’efforcent de croire qu’il y aura de l’avenir pour leurs enfants, une espérance de vie qui permettra de mourir avant eux. Ceux qui n’ont pas les moyens ne se verront jamais attribuée une place dans les navettes, ils sont résignés à ne jamais surplomber les nuages. Ils se disent que les enfants, déjà, c’est bien quand c’est petit.
Binh-Dû est un enfant des circonstances, comme n’importe lequel d’entre nous. Il est sa propre adaptation aux circonstances. Son métabolisme fractal est en revanche assez particulier, qui lui permet de ressentir sans barrière cellulaire le vent dans les branchages. Malheureusement il y a de moins en moins d’arbres. D’autres événements s’y substituent, qui n’auraient pas pris tant d’importance sinon. Il se serait perché par choix en haut du magnolia au lieu de le rêver refuge. Mais en tout état de cause, la vie se survivant, de joie parcellaire il s'emplit et se contente.

mardi 10 juillet 2018

10 juillet


Encore une semaine à tirer, le fil sur l’écheveau donne un mauvais coton. Toujours mieux que du polyester, certes, et il n’est guère élégant de pisser sur le mérinos. Mais tout de même, on voit les bouloches. Tu auras beau jouer du violon à mon oreille – à la tienne plutôt, qui penche vers la table comme ivre de son propre son –, je vois bien que je tangue et pire je vasouille. D’ailleurs qui suis-je ici, quelle est cette première personne du singulier qui s’immisce alors qu’on ne lui a rien demandé ? Et qui es-tu ? Où est Binh-Dû ?
C’est lui qui fait défaut, le joueur de flûte. Celui qui suit la musique qui le traverse, celui qui devance la loi des récompenses et des calamités. Même quand il s’absente il se tient tout près, il ne cesse en réalité d’être au cœur de l’action, transparent, aléatoire, satisfait. Il a définitivement obtenu ce qu’il voulait. Cela ne suffit pas à nous arranger, le problème étant que la biodiversité de nos sentiments se réduit. Presque plus d’arbres, des îles en plâtre s’effritant dans le néant, des animaux sans queue ni tête. Qu’on nous retienne avant qu’on mute !

lundi 9 juillet 2018

9 juillet


Douché le mauvais coucheur. Du genre à consulter la météo avant d’enfiler son pantalon, mais voilà : sitôt le nez dehors, quelques gouttes chaudes lui tombent sur le bout du nez. Il râle, il proteste, il ne veut pas croire. Ça va bien cesser à la fin, à peine que ça commence ? Ça ne devrait pas exister, ça n’était pas prévu. Suffit de se faire emmerder ! Déjà qu’il est en retard, déjà que rien ne se passe comme désiré, l’argent qui ne tombe pas du ciel, l’amour qui persiste à fuir, et lui qui court derrière avec sa contrariété. Au carrefour un chien le regarde de travers, sale bête ! Sous l’auvent de la boulangerie une femme tenant son bébé au creux du bras gauche rajuste de la main droite sa robe, comme s’il la matait vicieusement. Les publicités de douze mètres carrés exhibent des sourires mensongers. C’est comme ça, dès qu’on s’approche, ça dépixelle. Il pleut de plus en plus fort, le ciel est jaune orageux. Qu’elle crève, l’humanité, du reste cela ne saurait tarder ! La chemisette lui plaque au torse, manquerait plus qu’il attrape froid. La vie, c’est une chierie. On a relevé les balais de ses essuie-glaces, pure malveillance, pourquoi, mais pourquoi ? Un premier éclair se fracasse, entraînant des trombes d’eau. Il est totalement vain d’essayer d’éviter les flaques. De chercher à s’abriter. De regretter. D’attendre. Il renonce, retourne chez lui, se redouche et se recouche.

dimanche 8 juillet 2018

8 juillet

Autant considérer toute société comme une société d’abrutis. Ne valoriser que la déviance, la marge et le dépit. Renvoyer dos à dos la bêtise crasse et la bêtise cultivée. Soi-même, se tourner le dos à peine on se surprend dans son miroir. Consacrer son esprit à l’ironie et à l’obtention de plaisirs. Ne jamais se croire dupe de ses gratifications – et pourtant...
Sur la plage court un gros homme, enveloppé des manquements de la vie à son égard. Mal aimé, négligemment reconnu. Il trébuche et tombe. Son corps forme cratère, il est une bombe non explosée. Deux hommes minces le relèveront. Trois femmes le plaindront. Quatre enfants tenteront de débarrasser des grains de sable son costume incongru.
À l’arrière de la berline une femme parle à son oreillette. Elle s’accompagne de gestes de la main valorisés à 300 euros la minute. Le transfert en hélicoptère est déjà amorti, d’ailleurs ce n’est pas elle qui paie. Mille ouvriers mourront. Cent mille familles prieront en vain. Dix millions d’enfants tousseront du sang. Un milliard d’organismes évolués disparaîtront.
Autant planter son regard dans le ciel ou ce qu'il en reste, et sourire aux anges. Sentir l'amour divin diffuser dans tous les organes, s'émerveiller de ce qu'ils fonctionnent en cette seconde précise, puis la suivante, puis la suivante. Saisir la main tendue, serrer l'humain contre son cœur. Croire en la bonté fondamentale – être la dupe et le ravi ?