mercredi 18 juillet 2018

18 juillet

Il fait chaud, le temps glisse. L'attente se rapproche du lendemain où les amarres enfin seront larguées. Il y aura un effort requis puisque d'avance le bras est douloureux, de l'épaule au poignet, le bras qui tiendra le volant, l'autre reposant sur la portière, vitre baissée. Dans des circonstances plus solitaires cette contrariété musculaire serait prétexte à rester couché. A regarder dans l'écran de télévision les petits bonshommes pédaler en haut des cols. Il fait si chaud. Et les orages menacent, non ? Oui, si l'on en croit les prévisions météorologiques. Si l'on croyait les prévisions de toute sorte - celles qui ont les apparences du bon sens - on n'irait pas bien loin. On guetterait l'époque à venir des casques immersifs, quand il ne sera plus nécessaire de grimper la moindre colline pour tenter de ressentir ce qu'est le vol d'un aigle. Quand partager une expérience commune ne fournira plus un motif de déplacement - autant rêver sans regret aux temps de la sauvagerie. La transpiration ruisselle dans l'immobilité du cube, volets fermés. Dernières dernières fois avant l'accostage du retour, partir en vacances est un renoncement provisoire. A une poignée de kilomètres d'ici, un autre sac à dos se remplit - dans la joie.

mardi 17 juillet 2018

17 juillet


Dieu est un concept imprécis, précaire et obstiné. Il fait loi parmi d’autres lois humaines. Mais si nous aimons rêver grand, nous préférons voir petit. Nous, les sédentaires. Qu’importe le nombre de pièces, au final demeure un enserrement de murs, un plafond, un plancher. Même un jardin n’y change rien, même une terrasse ouverte sur le ciel, c’est toujours la sécurité qui nous tient. Binh-Dû étire ses membres en travers du lit. Si sa tête était d’une forme plus allongée il pourrait se prendre pour une étoile. Il rêverait à en désarticuler la cause de tous ses pincements (oh, cette nuque si raide !), il délaierait les acidités dans l’écume lactée de l’amour sans souci. Il se réveillerait au moment qui lui plairait, ainsi qu’on change de position – par préférence. Tout changerait d’un coup s’il rencontrait une jambe distincte des siennes : Dieu passe le relais dès lors que nous sommes deux. Parés pour le voyage, redressés, debout, un pas à tour de rôle dans le monde extérieur. Si je penche trop tu me retiens, si c’est toi qui penche je me redresse. L’équilibre vient en marchant, jusqu’à l’audace d’inventer sa trace. Binh-Dû est si solitaire qu’il en oublie souvent qu’on l’aime.

lundi 16 juillet 2018

16 juillet


À choisir, être tour à tour le sujet et l’objet. De quelque chose, nécessairement. Cette chose qui se situe entre l’homme impatient qui s’exaspère de subir la lenteur de ceux qui le précèdent – Mais allez, remuez-vous un peu, pensez aux autres, laissez-moi le champ libre ! Et l’homme placide qui ne voit pas de sens à précipiter ses gestes, bien au contraire – Pourquoi es-tu si pressé, qu’est-ce qui a tant d’importance que tu ne puisses pas attendre quelques secondes de plus ? Il y a peu d’alternatives pour les sujets qui s’ignorent.
Dans tous les cas, il manque une femme. Les deux hommes objets reflètent l’un de l’autre l’animosité qui les réduit. Ce qui se situe entre eux c’est aussi là où ils se situent, dans une station-service aux prix cassés. Un monde de virilités et de voitures qui chauffent. Binh-Dû quant à lui envoie des lettres amicales sur la toile. Par paquets de six, sa dose journalière. Immatérielle à souhait. Sans obligation de réciprocité. Le jour suivant il relève son courrier, le taux de réponse immédiate est de 17%. De quoi tremper ses lèvres au verre au sixième plein.

dimanche 15 juillet 2018

15 juillet


Puisque la période est à la mélancolie prématurée... Il ne manquerait parfois qu’un cadre rectangulaire – quatre doigts joints et deux paumes dressées à la verticale y suppléent avec une étonnante efficacité, encore faut-il assumer, et le regard appuyé et la mise à distance – pour obtenir une émotion cinématographique. Ce visage à fleur de peau baigné d’un soleil orangé de fin de journée. On prolongerait le film grâce aux bonus du DVD – les scènes coupées au montage qui ne trouvèrent pas à s’inscrire dans la narration.
Coupés au montage les passages honteux, médiocres, pusillanimes à l’excès. La litanie du premier poil blanc, les douleurs dépourvues de sens. Les attentes paresseuses. Les redondances. Nous serions les réalisateurs de films propagandistes incitant les âmes hésitantes à prendre corps. Comme des migrants exilés sur Terre et qui dépeindraient à la famille restée au pays une réalité épurée - Tout va bien, je vais vous envoyer de l’argent. Le film préféré de Binh-Dû montrerait un temps d’avant, perpétuellement suspendu.

samedi 14 juillet 2018

14 juillet


La tristesse s’abat à la fin du jour. D’avoir programmé une enfilade de lendemains jusqu’à l’apex du mois d’août, d’un coup s’y retrouver et c’est déjà le déclin de l’été. D’anticiper une séparation annoncée au cœur de la prochaine fête ; cela se passera ainsi, une dernière embrassade, un sac hissé sur le dos, un pâle sourire de part et d’autre, l’une montera en voiture et l’autre replongera dans la foule. Aujourd’hui même, après une journée ensoleillée, d’étreindre une femme qu’on ne reverra pas avant septembre et dont on esquive le risque d’un baiser.
Binh-Dû pourtant s’est réjoui d'entendre un couple de tourterelles si bien assorties, posées côte à côté sur un fil électrique. Il s’est empli de bonheur esthétique à la vue de danseurs tels de souples animaux plus libres qu’ils ne furent sauvages. Il a respiré le ciel et ses parfaits nuages. Assis sur un bloc de pierre taillé dans un gisement de fossiles, il s’est immergé dans une conversation essentielle. Il a étiré ses orteils autant que possible pour accroître l’aise de ses nouvelles chaussures. Rien n’y fit. Ses pieds chéris lui semblent trop petits.

vendredi 13 juillet 2018

13 juillet

Les accomplissements souvent passent inaperçus. Ni à l’entrée ni à la sortie le vigile ne repère qu’il y eut un avant et qu’il y a un après. S’abritant des premières gouttes de pluie qui tombaient aux abords du centre commercial, Binh-Dû fit des emplettes opportunistes, quand il sortit à nouveau dans la rue, de perpétuelles premières gouttes de pluie (vite évaporées) maculaient le trottoir. L’air est chaud, le vent souffle fort dans les nuages et le temps assèche les regrets. À plus forte raison quand une deuxième démarque efface l'initiale déception des soldes.
Quelle fut âpre pourtant cette négociation entre les principes spartiates de Binh-Dû et les exigences de ses pieds. Au final il trouva donc chaussures. Soldées comme il se doit, bien que d’une demi-pointure trop courtes. Il coupera les ongles de ses orteils. D’un pas allégé il arpenta les travées d’un magasin voisin où l’on n’accepte plus les chèques depuis deux ans et demi (ah bon, cela fait si longtemps que je vivais dans ma grotte ?), et s’offrit grâce à l’économie réalisée le disque détaxé d’une chanteuse aux pieds nus. La vendeuse lui rendit un sourire de connivence.

[merci réitéré et non moins perpétuel à Camille]

jeudi 12 juillet 2018

12 juillet

La sœur inventée serait un être de totale confiance, disponibilité, bienveillance. De même serions-nous un frère pour elle. Binh-Dû surimpressionné dissimule à l’extérieur de lui-même l’homme que nous sommes. Chez lui aussi, totale bienveillance, et cætera. Il est requis pour aller au bout de n’importe quel voyage, car il est habile à se contenter de peu. Il sait évoluer entre les plaintes et les appréhensions, pour tout dire ça le fait rire. Il n’aurait pas l’âme mélancolique, ni décisionnelle, ne serait pas du genre à affirmer une opinion ou à prodiguer un conseil.
La sœur réelle correspond assez bien à la définition de la sœur inventée. Diffèrent forcément la tonalité de songe propre à la seconde ainsi que le registre ambigu consistant à se proclamer frères et sœurs humains, de passage sur Terre. Binh-Dû apporte à l’homme que nous sommes un surcroît de biodiversité. Il sait que l’amour se pratique à plusieurs. Il a exploré les continents, les océans, il est en mesure de parcourir à rebours le temps qui les fatigue. C’est pour lui un jeu de paysages, certains, nous ne les soupçonnerons pas de notre vivant. « Mais le premier paysage, c’est toi. »