mardi 4 septembre 2018

4 septembre


L’expérience abêtit. N’en déplaise à Binh-Dû, ou alors c’est que nous ne parlons pas de la même chose. Certes non, de quelle expérience parles-tu ? demande-t-il. Ce qui est une drôle de façon d’orienter la conversation, car enfin, si « certes non », comment désirer répondre à l’interrogation suivante, comment ne pas déceler une non moins certaine condescendance ? Mon goût de l’expérience n’exclut pas la condescendance, admet Binh-Dû, magnanime. C’est entendu, bien que sa prédilection aille plutôt à ce qui infuse dans le corps.
Mais tout de même, l’expérience abêtit, elle fait du futur table rase. C’est parce que tu crois encore au futur, rétorque Binh-Dû. La plupart des vieilles personnes n’ont plus guère d’intérêt à découvrir quoi que ce soit qui les concerne pourtant ou qui concerne le monde. Tu crois à la vieillesse et tu crois à la mort, déduit Binh-Dû, tes expériences en sont inévitablement faussées. Les histoires de voisins en effet ne mènent pas bien loin. L’espérance d’une vie humaine correspond peu ou prou à la durée de vie d’un cerisier. Force reste au noyau.

lundi 3 septembre 2018

3 septembre


L’empathie se précipite. Hâte de réactiver la hantise d’être quitté. Mais rien ne presse ! Chaque chose en son temps, comme disait le père de Binh-Dû en une sorte de soupçon prémonitoire du jour où il disparaîtrait aux yeux de ceux qui l’avaient connu, tel un magicien flamboyant joignant la parole à l’éther. Disait-il dans une tout autre perspective, alors que l’avenir semblait aller de soi. L’empathie déjà minait le bon sens. Ce n’est pas de toi qu’il s’agit ! faudrait-il se rappeler à intervalles réguliers, ainsi que chante un oiseau au printemps.
On ne songe pas à te quitter. Peut-être est-ce alors un sentiment voisin, il serait trop tôt ? Trop tard, ce n’est pas vraiment un problème pour Binh-Dû, juste une sédimentation. Le regret est atone, dépourvu d’anxiété, tandis que l’impréparation crisse dans les virages. Vite, vite, mais le pli est pris, l’anneau de Moebius s’étrangle en son centre et il apparaît alors que tenter de se ménager revient surtout à exprimer un épouvantable scepticisme envers la puissance du présent. Comme si Binh-Dû avait vécu une fois pour toutes et à jamais.

dimanche 2 septembre 2018

2 septembre


Jusqu’en quels lieux retirés se réfugier ? Quand tout ce sur quoi l’attention est attirée équivaut à une insulte, quand les coups sont portés sans relâche, pareils au martèlement d’une musique machinale ou d’une machinerie musicale, quand les organes crient silencieusement « Emmène-moi ailleurs ! Prends soin de moi sinon je meurs ! » Quand l’âme au diapason soupire « J’aurais tout donné pour toi. J’étais ton enfant chérie, ta mère et ton père. » Dans le cube opacifié les impulsions sensorielles entament le squelette, la poussière s’ajoute à la poussière.
Mais il faut bien vivre, rétorquera-t-on à Binh-Dû. Vivre, c’est-à-dire écouter les sons et les vibrations de cette musique nous pénétrer le corps, crier qu’on est content de lever en cadence les bras en l’air et de sautiller d’une jambe sur l’autre, ingurgiter des breuvages corrosifs qui sapent de notre existence la continuité, manger du sang coagulé, de la chair pharmaceutique et du pétrole aromatisé, baiser à pierre fendre, dormir comme on meurt et vomir au réveil, renfiler le costume pour cinq jours. Binh-Dû se souvient comme il enviait ceci, du temps de son immortalité.

samedi 1 septembre 2018

1er septembre


Ces histoires de supermarché... Déjà le préfixe qui pue l’arnaque... L’illusion, la misérable excitation, le dévoiement des enchantements... La réduction de l’homo economicus... Les appétits voués à l’écœurement...
Binh-Dû est à deux doigts (dans la gorge) de formuler un nouveau serment du pâté [cf 14 août]. Une résolution qui l’éloignerait de ces lieux de perdition, en substance cela dirait : « Des fruits et légumes sains dans un environnement sain ».
Car il sent qu’il s’abîme à force de déchirer dans les bacs les emballages de citrons, de tomates et de pommes biologiques, et de s’esquiver en catimini, et d’être repéré par un employé qui lui dit « Ce n’est pas bien, ce que vous faites ».
Car il ne veut pas devenir ce monsieur perturbé réclamant au caissier les quinze centimes de différence entre le prix en rayon et celui qui s’affiche. Prétendant être sagace et rire de ses propres grimaces. Oh non, ce ne serait pas super.

vendredi 31 août 2018

31 août

Il arrive que Binh-Dû soit excessivement Binh-Dû. Puis il se cogne à la vitre coulissante d’une supérette de quartier – elle ne coulissait pas à la vitesse de sa propre exaltation – et laisse tomber son portefeuille d’où s’échappent tous ses justificatifs, ses cartes, ses passes et ses billets. Que ramasser en priorité ? Une pièce de deux centimes qui ne lui appartenait même pas ?
Le temps est une reconstruction, Binh-Dû peut aussi bien commencer par se rendre à la supérette. Inspecter une somme de produits qu’il n’achètera pas, pour des motifs déjà maintes fois visités. Les magasins d’alimentation sont des lieux de compassion où les regards hésitent à se croiser, où chacun piétine en son for intérieur, en course vaine contre la péremption.
De retour chez lui, Binh-Dû se prend pour un gourou à barbe blanche à qui ses disciples offrent du faux chocolat. Entre ses mains le sucre se transcende, et c’est avec un sentiment d’absolue bienveillance que le gourou redistribue aux fidèles le chocolat. Mais qu’en est-il en réalité ? Qui, du gourou ou du disciple, entend le plus justement la petite musique ?

jeudi 30 août 2018

30 août

L’intérieur est un lieu de douleur active. Le lieu où faire flamber les blessures amassées, en un feu de détresse mauvaise. Le lieu des persuasions masquées, infligées aux autres autant qu’à soi, le lieu des souffrances redoublées – et de la compassion. La compassion provient de l’extérieur, souvent elle ne sait pas trop où poser le pied, elle hésite, elle craint d’être mal accueillie. À juste titre, souvent la compassion elle-même est souffrance, qui se heurte à l’orgueil d’en être récipiendaire. Jusqu’à croiser les bras en défense de croix.
Dans la nature, l’équation harmonique courbe les asymptotes. Le nombre d’or impulse l’hélice de la pigne de pin, le dessin des rides sur les plages, le mouvement sous-marin des vagues. Autant d’alliances désirées qui ne s’encombrent pas de serments. Le pire inacceptable n’est pas la catastrophe, celle-ci pollinise un renouveau, mais la complaisance de soi à soi. Binh-Dû, qui est plutôt du genre flottant, refuserait un dessein de fourmi tarée, aux trébuchements ivres et désenchantés, dont le tracé collerait aux embûches. L’action selon lui doit être guérison.

mercredi 29 août 2018

29 août


L’invitation au pouvoir c’est autre chose. Une réelle proposition. Un choix de vie contre le choix de ne plus croire. Quelque chose qui va de soi pour Binh-Dû, dont l’heure sonne à tout moment. Binh-Dû est en pleine possession de sa raison. Il est sur le pont jour et nuit, et celle qui l’accompagne est précisément là où leurs rêves croisés les aurait placés : à l’abord de l’inconnu.
Mais cela, c’était hier. Hier est autre chose – l’annonce d’aujourd’hui où le sens du devoir voudrait s’opposer à celui du désir. Mais qui est aux commandes ? Qui ordonne, qui juge en son âme et conscience ? Qui voudrait faire passer ses besoins – même douteux – pour un carillon de rappel à l’honneur – cet arrangement –  et une exhumation de vœux caducs ?
Binh-Dû est un être d’influence, il exerce avec les meilleures intentions du monde. Il perçoit en miroir les meilleures intentions du monde chez celle qu’il aime ce jour, et les jours d’avant, et un nombre indéfini de jours à venir. Il tient que les promesses sont du présent renouvelé. Et que l’acceptation du pire ne vaut que pour ce qui survient de l’extérieur.