Il arrive que Binh-Dû soit excessivement Binh-Dû. Puis il se cogne à la
vitre coulissante d’une supérette de quartier – elle ne coulissait pas à la
vitesse de sa propre exaltation – et laisse tomber son portefeuille d’où
s’échappent tous ses justificatifs, ses cartes, ses passes et ses billets. Que
ramasser en priorité ? Une pièce de deux centimes qui ne lui appartenait
même pas ?
Le temps est une reconstruction, Binh-Dû peut aussi bien commencer par
se rendre à la supérette. Inspecter une somme de produits qu’il n’achètera pas,
pour des motifs déjà maintes fois visités. Les magasins d’alimentation sont des
lieux de compassion où les regards hésitent à se croiser, où chacun piétine en
son for intérieur, en course vaine contre la péremption.
De retour chez lui, Binh-Dû se prend pour un gourou à barbe blanche à
qui ses disciples offrent du faux chocolat. Entre ses mains le sucre se
transcende, et c’est avec un sentiment d’absolue bienveillance que le gourou
redistribue aux fidèles le chocolat. Mais qu’en est-il en réalité ? Qui,
du gourou ou du disciple, entend le plus justement la petite musique ?