dimanche 23 septembre 2018

23 septembre

De l’obéissance à la servitude il n’y a qu’un pas de nain. Celui qui sépare le raisonnement de la déroute.
Binh-Dû a lu tous les manuels, il connaît la marche à suivre. C’est pour cette raison qu’il rechigne.
Après le mot « amour », le mot « merde » est le plus convaincant. Bien sûr les contextes divergent.
Binh-Dû connaît par échantillons ce qu’il ne veut pas connaître davantage. En un sens, il creuse son trou.
Ainsi fait la marmotte, ses pattes sont si tendres qu’on croirait qu’elles saignent. Non, et elle a toutes ses dents.
Binh-Dû ne souhaite aider personne à désobéir, mais en tout homme il décèle un géant. Lequel hésite aux ronds-points.

samedi 22 septembre 2018

22 septembre

Il y a vraiment des gens sur ce piteux cercle de l’enfer qui font chauffer de l’huile et brûler de l’essence pendant des heures chaque jour pour avancer à peine plus vite que s’ils traversaient Paris à pied ? Chaque jour, et ils appellent cela « se rendre à son travail » ? (Ou en revenir, ce qui n’est pas moins une reddition tant le cycle de répétition semble devoir durer jusqu’à ce que mort s’ensuive.) Poumons cramés, neurones bousillés à force de tourner sur eux-mêmes. Il y en a même pour qui ce piétinement sur pneumatiques est un aspect du travail en soi ?
Binh-Dû a beau jeu de faire le malin, de prétendre à la candeur. Il ne rentre dans le cercle que les trente-six du mois. Ou il s’engouffre dans les sous-sols (porte des enfers plus évidente), et là aussi il peste – contre l’abrutissement et les émanations toxiques. Il ne vit jamais que dans un pays riche. Il se permet de sourire aux migrants harassés qui errent là où on les a relégués. Jusque sur les talus du périphérique. Lui, il quitte l’autoroute avant d’atteindre les avions, il longe la prison et ses barbelés couverts de détritus, il va admirer des danseurs en spirale.

vendredi 21 septembre 2018

21 septembre


[L’automne venu, qu’est Binh-Dû devenu ? Toujours sur l’ellipse, pas rangé des voitures. On voudrait s’en passer qu’on ne pourrait pas, il pousse le battant de la fenêtre laissée entrebâillée au grenier. Ou à la cave – il serait capable de trouver une fenêtre à la cave. Ni soupirail ni lamentations, ni mariage ni funérailles. Risques modérés. Cachons-nous derrière la plus indéfinie des troisièmes personnes du singulier, confondons-nous dans le flot de la première personne du pluriel. Tant que le je reste de pure forme. Binh-Dû, fais comme chez toi !]

La rumeur du périphérique ne traverse pas le double vitrage. Peu importe que tombent les feuilles des arbres, désépaississant la barrière du son. Et les cheveux à leur suite, bien dégagé sur les oreilles, peu importe. L’idiotie tourne à plein régime depuis la nuit des temps, aucun mur ne lui résiste. Allez, laisse donc les fenêtres ouvertes ! Tant qu’il y aura des héros dont les faits d’armes feront briller les yeux des enfants – oh ces parents si fiers de voir les yeux de leurs enfants briller... – Binh-Dû fera bande à part. Le lave-linge de son voisin a bloqué son cycle sur essorage.

jeudi 20 septembre 2018

20 septembre


Un break doté de sa vignette se gare soigneusement dans la place délimitée par le marquage au sol. En sort un homme jeune encore, qui se dirige d’un pas mesuré vers l’horodateur afin de s’acquitter de sa taxe. Tout est normal, la portière s’ouvre à présent côté passager et une femme pose le pied sur la chaussée, s’extrait à son tour du véhicule, attend. Elle a claqué de bon aloi sa portière. Il semble évident que ces deux-là sont mariés. Ils comptent bien avoir des enfants. L’homme est revenu à sa voiture, il ouvre le coffre, y récupère deux sacs en plastique renforcé, marqués du logo d’une firme d’articles de sport. La femme attend à son côté, elle jette un regard furtif alentour. L’homme referme le coffre, fait biper le verrouillage centralisé, s’engage sur le trottoir. La femme le suit.
Se peut-il que quiconque aspire à telle obéissance ? Non seulement celle de la femme en retrait de son homme, mais celle du couple inséré dans son conformisme social. Même le silence est dévoyé. Loin d’ici, une autre femme jeune est tiraillée entre son instinct de rébellion et son désir de construction. Avec elle, le silence est toujours bruissant d’intelligence. Ses questionnements et ses doutes lui mènent la vie dure, elle est tentée de se déterminer en fonction de ce qu’elle serait censée faire. Mais qui pour savoir ? Et au prix de quelle domestication ?
Il arrive que la plus adéquate des réponses provisoires consiste à se ranger bien parallèle au trottoir, et à rentrer chez soi, en silence.

mercredi 19 septembre 2018

19 septembre


Le cœur en travers comme une chambre à air. Un nid de poule et Binh-Dû se retrouve devant les portes du lycée, comme quand il y avait plus de temps à tirer qu’on ne croyait pouvoir le supporter, alors on faisait preuve d’humour pour n’être pas la dernière des dupes. Dans le bunker de son corps, un colosse agite du menton sa mèche, les petits yeux enfoncés s’apparentent à ceux d’un être si frustre qu’on n’éprouverait guère de scrupule à effacer de son front ce qui lui tient lieu de vérité. Binh-Dû a ces jours-ci des envies de meurtre, il tangue d’un pied sur l’autre entre le mot envie et le mot besoin, il tremble davantage que le rafraîchissement de l’air ne le justifierait. Ses doigts de pieds se crispent à tel point qu’il se demande s’il est possible d’ainsi se briser un os. Homme de paix, ignorant des bases émotionnelles de la guerre... Au café, un homme rit en parlant de Syriens qui n’auraient pas été gazés, manière de choisir sa réalité comme on choisit une consommation. Il lève la main pour toper dans celle de la femme assise en face de lui, manière d’imposer un contact à un objet qui ne le désire pas. Binh-Dû plonge dans les yeux de l’amie, lesquels l’espace d’un instant ne sont plus seulement les siens. « Entends, disent-ils, ce qui ne meurt jamais. »

mardi 18 septembre 2018

18 septembre


À Binh-Dû l’on explique comment fumer. Pour qui le prend-on ? De fait, il s’étonne de n’avoir pas su qu’il fallait éviter d’avaler la première taffe, attendre la seconde. C’est logique, d’une certaine façon, et cela ne l’est pas du tout. La fumée dessine les cavités de son corps, il sent très vite qu’il pourrait se laisser porter. On lui réclame de faire tourner. Soit, il se rallonge, ferme les yeux. L’une des filles est tout contre lui à présent, comme un enveloppement ferme et doux. Les membres s’entremêlent lentement, il y en a plus qu’il n’y en aurait pour deux, au moins trois jambes et cinq bras, Binh-Dû n’est plus seul, ils ne sont pas deux, sont-ils deux et demi ? Leurs six yeux se rouvrent en même temps, l’une des filles rit et s’éloigne car avec Binh-Dû, non, jamais de la vie ! L’autre ne rit pas, se rapproche un peu plus entre ses bras.
Ce qui est réel n’est pas toujours l’histoire qu’on se raconte. Qui pour entendre cela ? Qui pour ne pas préférer croire que ce qui est réel n’est jamais l’histoire qu’on se raconte ? Qui pour comprendre que l’histoire qu’on ne se raconte plus est la jumelle cachée de l’histoire qu’on se raconte ? Comment traiter avec impartialité ses enfants miroirs l’un de l’autre et miroirs de soi ? Quand donc cessera-t-on de se défier de soi ? Binh-Dû est un personnage secondaire, son oreille est comme aspirée par une connexion qui ne transmet nullement des sons la saveur. La synesthésie est à l’agonie, l’organique est une relique. Ne plus s’entendre, ne plus se voir, ne plus humer le parfum des cheveux, ne plus toucher la peau, ne plus goûter les lèvres, cela donc serait réalité ? Sous le pied de Binh-Dû pousse un cerisier.

lundi 17 septembre 2018

17 septembre


Chaque jour la pluie se déverse à tonneaux passé midi, manque la moiteur des Tropiques. Manque l’excès, dans le cube rien ne s’infiltre, hormis un crépitement sur les tuiles du toit. L’horoscope prévoyait du bonheur. Une fois que cela commence on ne sait pas précisément quand cela cessera, mais au matin le sol à nouveau sera sec.
Binh-Dû certaines nuits est allergique à sa respiration. Il entend la pluie à l’extérieur, sans la confondre avec son cœur, et des images lui viennent d’un chien noyé dans son propre sang. Il rêve qu’il se meurt de soif et de douleur sous le pont d’un fleuve, et qu’une amante maternelle va lui chercher du thé dans un hôtel de luxe.
Cela ne dure que le temps de la crise, son dos ne le lance plus quand il parvient à se lever. Les moutons de poussière n’ont pas bougé, ils sont paisiblement alignés là où il ne met jamais le pied. Le bonheur du monde est encore à venir. Les incertitudes attendent la cadence qui les mettra en branle, le thé comble des alvéoles.