À Binh-Dû l’on explique comment fumer. Pour qui le prend-on ? De
fait, il s’étonne de n’avoir pas su qu’il fallait éviter d’avaler la première
taffe, attendre la seconde. C’est logique, d’une certaine façon, et cela ne
l’est pas du tout. La fumée dessine les cavités de son corps, il sent très vite
qu’il pourrait se laisser porter. On lui réclame de faire tourner. Soit, il se
rallonge, ferme les yeux. L’une des filles est tout contre lui à présent, comme
un enveloppement ferme et doux. Les membres s’entremêlent lentement, il y en a
plus qu’il n’y en aurait pour deux, au moins trois jambes et cinq bras, Binh-Dû
n’est plus seul, ils ne sont pas deux, sont-ils deux et demi ? Leurs six
yeux se rouvrent en même temps, l’une des filles rit et s’éloigne car avec
Binh-Dû, non, jamais de la vie ! L’autre ne rit pas, se rapproche un peu
plus entre ses bras.
Ce qui est réel n’est pas toujours l’histoire qu’on se raconte. Qui
pour entendre cela ? Qui pour ne pas préférer croire que ce qui est réel
n’est jamais l’histoire qu’on se raconte ? Qui pour comprendre que l’histoire
qu’on ne se raconte plus est la jumelle cachée de l’histoire qu’on se raconte ?
Comment traiter avec impartialité ses enfants miroirs l’un de l’autre et
miroirs de soi ? Quand donc cessera-t-on de se défier de soi ? Binh-Dû est
un personnage secondaire, son oreille est comme aspirée par une connexion qui
ne transmet nullement des sons la saveur. La synesthésie est à l’agonie,
l’organique est une relique. Ne plus s’entendre, ne plus se voir, ne plus humer
le parfum des cheveux, ne plus toucher la peau, ne plus goûter les lèvres, cela
donc serait réalité ? Sous le pied de Binh-Dû pousse un cerisier.