Binh-Dû use
des métaphores comme d’un tison dans le feu. La flambée est passée, il ne reste
que des bûches largement consumées. On dirait des os rongés par le milieu, et
ce serait même la métonymie d’un mâchage en règle, vorace. Par association, des
centaines de souris cavaleraient au grenier, fuyant par le toit, leurs pattes
produisant le staccato d’une averse impossible – à moins qu’il n’y ait plus de
toit. Dans la pièce à vivre, tous lèveraient les yeux vers les poutres. Que
fallait-il donc quitter ? Sommes-nous encore sur terre ou déjà en voyage,
seuls au monde ? Et d’abord, combien sommes-nous, Binh-Dû n’est-il pas
tout seul face à l’âtre ? Il se permet de faire durer le plaisir, ou la
douleur qui est une facette voisine du plaisir. Dans la pièce d’à côté – s’il y
en a une – son jumeau abruti se morfond,
il ne sait pas quoi faire de ses mains. Il a froid, tandis que Binh-Dû présente
tantôt son profil gauche tantôt son profil droit à la chaleur qui émane des
braises. Les flammes sont une lisière confiante. La paresse n’est pas loin,
voire l’endormissement. Au bout de la pique remuent des souvenirs charnels, des
galaxies infinies, cela pourrait se prolonger infiniment. Binh-Dû face à l’être
est un homme qui préfère recourir aux visions aveuglantes.
mardi 25 septembre 2018
lundi 24 septembre 2018
24 septembre
Retour à l’argile, une fois l’an. Au premier son poussé hors des
poumons. Attention ! Comme s’il s’agissait aussi bien d’une prémonition –
ce jour-ci sera inscrit sur ta pierre tombale. Rien ne presse. Le baiser de
l’an passé éternue dans le courant d’air d’une porte claquée. Binh-Dû
tremblerait à l’écoute de la voix aimée.
Si la porte claque c’est qu’il y a des fenêtres, et des murs pour tenir
l’huisserie, un toit pour protéger des chutes, un sol nivelé pour se couper du
feu des germinations. Il y a une prison qui s’ignore, sans verrous apparents.
Faut-il être jeté dans le monde pour percevoir le confinement où l’on se
croyait libre ?
Faut-il se jeter ? L’expérience consiste-t-elle à ouvrir
péniblement des poupées gigognes ? Pire encore, se réduirait-elle à les
garder encloses ? Alors, si le cycle ainsi perdure, on modèlera un cheval à la course durcie, on le
posera sur le rebord de la cheminée, et on se laissera engloutir par les
coussins d’un fauteuil à bascule.
dimanche 23 septembre 2018
23 septembre
De l’obéissance à la servitude il n’y a qu’un pas de nain. Celui qui
sépare le raisonnement de la déroute.
Binh-Dû a lu tous les manuels, il connaît la marche à suivre. C’est
pour cette raison qu’il rechigne.
Après le mot « amour », le mot « merde » est le
plus convaincant. Bien sûr les contextes divergent.
Binh-Dû connaît par échantillons ce qu’il ne veut pas connaître
davantage. En un sens, il creuse son trou.
Ainsi fait la marmotte, ses pattes sont si tendres qu’on croirait
qu’elles saignent. Non, et elle a toutes ses dents.
Binh-Dû ne souhaite aider personne à désobéir, mais en tout homme il
décèle un géant. Lequel hésite aux ronds-points.
samedi 22 septembre 2018
22 septembre
Il y a vraiment des gens sur ce piteux cercle de l’enfer qui font
chauffer de l’huile et brûler de l’essence pendant des heures chaque jour pour
avancer à peine plus vite que s’ils traversaient Paris à pied ? Chaque
jour, et ils appellent cela « se rendre à son travail » ? (Ou en
revenir, ce qui n’est pas moins une reddition tant le cycle de répétition
semble devoir durer jusqu’à ce que mort s’ensuive.) Poumons cramés, neurones
bousillés à force de tourner sur eux-mêmes. Il y en a même pour qui ce
piétinement sur pneumatiques est un aspect du travail en soi ?
Binh-Dû a beau jeu de faire le malin, de prétendre à la candeur. Il ne
rentre dans le cercle que les trente-six du mois. Ou il s’engouffre dans les
sous-sols (porte des enfers plus évidente), et là aussi il peste – contre
l’abrutissement et les émanations toxiques. Il ne vit jamais que dans un pays
riche. Il se permet de sourire aux migrants harassés qui errent là où on les a
relégués. Jusque sur les talus du périphérique. Lui, il quitte l’autoroute
avant d’atteindre les avions, il longe la prison et ses barbelés couverts de détritus,
il va admirer des danseurs en spirale.
vendredi 21 septembre 2018
21 septembre
[L’automne
venu, qu’est Binh-Dû devenu ? Toujours sur l’ellipse, pas rangé des
voitures. On voudrait s’en passer qu’on ne pourrait pas, il pousse le battant
de la fenêtre laissée entrebâillée au grenier. Ou à la cave – il serait capable
de trouver une fenêtre à la cave. Ni soupirail ni lamentations, ni mariage ni
funérailles. Risques modérés. Cachons-nous derrière la plus indéfinie des
troisièmes personnes du singulier, confondons-nous dans le flot de la première
personne du pluriel. Tant que le je
reste de pure forme. Binh-Dû, fais comme chez toi !]
La rumeur du
périphérique ne traverse pas le double vitrage. Peu importe que tombent les
feuilles des arbres, désépaississant la barrière du son. Et les cheveux à leur
suite, bien dégagé sur les oreilles, peu importe. L’idiotie tourne à plein
régime depuis la nuit des temps, aucun mur ne lui résiste. Allez, laisse donc
les fenêtres ouvertes ! Tant qu’il y aura des héros dont les faits d’armes
feront briller les yeux des enfants – oh ces parents si fiers de voir les yeux
de leurs enfants briller... – Binh-Dû fera bande à part. Le lave-linge de son
voisin a bloqué son cycle sur essorage.
jeudi 20 septembre 2018
20 septembre
Un break doté de sa vignette se gare soigneusement dans la place
délimitée par le marquage au sol. En sort un homme jeune encore, qui se dirige
d’un pas mesuré vers l’horodateur afin de s’acquitter de sa taxe. Tout est
normal, la portière s’ouvre à présent côté passager et une femme pose le pied
sur la chaussée, s’extrait à son tour du véhicule, attend. Elle a claqué de bon
aloi sa portière. Il semble évident que ces deux-là sont mariés. Ils comptent
bien avoir des enfants. L’homme est revenu à sa voiture, il ouvre le coffre, y
récupère deux sacs en plastique renforcé, marqués du logo d’une firme
d’articles de sport. La femme attend à son côté, elle jette un regard furtif
alentour. L’homme referme le coffre, fait biper le verrouillage centralisé,
s’engage sur le trottoir. La femme le suit.
Se peut-il que quiconque aspire à telle obéissance ? Non
seulement celle de la femme en retrait de son homme, mais celle du couple inséré
dans son conformisme social. Même le silence est dévoyé. Loin d’ici, une autre
femme jeune est tiraillée entre son instinct de rébellion et son désir de
construction. Avec elle, le silence est toujours bruissant d’intelligence. Ses
questionnements et ses doutes lui mènent la vie dure, elle est tentée de se
déterminer en fonction de ce qu’elle serait censée faire. Mais qui pour
savoir ? Et au prix de quelle domestication ?
Il arrive que la plus adéquate des réponses provisoires consiste à se ranger bien
parallèle au trottoir, et à rentrer chez soi, en silence.
mercredi 19 septembre 2018
19 septembre
Le cœur en
travers comme une chambre à air. Un nid de poule et Binh-Dû se retrouve devant
les portes du lycée, comme quand il y avait plus de temps à tirer qu’on ne
croyait pouvoir le supporter, alors on faisait preuve d’humour pour n’être pas
la dernière des dupes. Dans le bunker de son corps, un colosse agite du
menton sa mèche, les petits yeux enfoncés s’apparentent à ceux d’un être si
frustre qu’on n’éprouverait guère de scrupule à effacer de son front ce qui lui
tient lieu de vérité. Binh-Dû a ces jours-ci des envies de meurtre, il tangue
d’un pied sur l’autre entre le mot envie et le mot besoin, il tremble davantage
que le rafraîchissement de l’air ne le justifierait. Ses doigts de pieds se
crispent à tel point qu’il se demande s’il est possible d’ainsi se briser un
os. Homme de paix, ignorant des bases émotionnelles de la guerre... Au café, un
homme rit en parlant de Syriens qui n’auraient pas été gazés, manière de
choisir sa réalité comme on choisit une consommation. Il lève la main pour
toper dans celle de la femme assise en face de lui, manière d’imposer un
contact à un objet qui ne le désire pas. Binh-Dû plonge dans les yeux de l’amie, lesquels l’espace d’un instant ne sont plus seulement les siens. « Entends,
disent-ils, ce qui ne meurt jamais. »
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