vendredi 5 juillet 2019

5 janvier


                Car il n’est pas de destination finale pour le vagabond, ou plutôt toute destination est transitoire. Même l’ultime, de toute éternité, il n’y a plus de peur, juste une gangue de crasse. Il y a des saisons, des tours et des châteaux. Des courants d’air. Le froid aiguise prématurément d’irrécupérables souvenirs.
                Sur l’île, les tours sont en ruine, seuls des oiseaux y nichent. Pas un chat. Et il fait chaud, le sentier qui redescend vers la plage n’est peut-être pas celui que tu as tracé en arrivant, tu cherches en vain des empreintes de pas. Tu cherches la confirmation qu’il s’agit bien d’une île et non d’un continent. Tu cherches et ne cherches pas Alma.
                Les guenilles sur ta peau, tachées de sel se lavent au sel. Au moins la mer n’est-elle pas un lac. Une frégate fondant du haut du ciel te confond avec un animal mort, tu dois crier. Tu dois t’encourager. Qui d’autre, sinon ? Ta main dessine un corps friable, tu respires dans le creux de ton aisselle. Tu lèches tes lèvres craquelées. Tu ne te vois pas.

jeudi 4 juillet 2019

4 janvier (suite du 3)


... Tu ferais mieux, à moins de te prendre pour un cheval dansant le tango, effaçant le passage du temps. Ou pour le vagabond tombé de cheval, dont les hardes délavées sont tachées de boue. Il arrive devant le mur de la propriété, une porte de service que plus personne n’emprunte. Le verrou rouillé n’offre pas de résistance, de l’autre côté s’élève une prairie aux hautes herbes. Tu avances. La rosée te trempe et te blanchit. Bientôt des allées entretenues se dessinent, des rectangles gazonnés, et tu croises des promeneurs aux belles manières, en petits groupes. Ils te saluent et tu leur réponds de même, ils imaginent peut-être que tu es un invité de la fête malgré ta barbe et ta rusticité – le dress code stipulait ivoire et beige. Plus haut se trouve le château d’où tous ces gens s’égaillent, pour toi c’est la destination finale. Deux escaliers de marbre flanquent le hall d’entrée ; rien n’annonce qu’ils se rejoignent aux étages, il s’agit de faire le bon choix. Ou redescendre de la tour de gauche pour essayer la tour de droite. Lâcher la peur pour la honte. Qui es-tu ? Cherches-tu une chambre où te blottir à l’abri des regards ? À l’abri du mépris, de l’ennui, de l’aversion ? Es-tu si peu aimable, ne sais-tu vraiment pas danser ? Désespérément l’état de joie gratte le mur, là où la peinture déjà s’écaille. Tu entends la chaleur d’une voix poignante. Tu te raccroches au trompe-l’œil comme au sourire d’une peluche. Tu prémédites une infinité de moments qui n’adviendront pas. Puis tu repars, tenant ton cheval par son mors.

mercredi 3 juillet 2019

3 janvier


                Alma sème un champ neuf. Sous cette latitude la lune paraît plus lumineuse mais l’exactitude des saisons n’est pas requise. Les graines sont issues d’une première récolte. Alma est sur l’île depuis peu, elle ne veut pas penser qu’il s’agit d’un continent.
                Auparavant c’était une combattante. Ses mains ont connu l’acier des armes. Aujourd’hui c’est comme si elle nettoyait dans la terre le sang versé, comme si le soc fertilisait une rédemption. De son sein le sang coulait, que son amant ne savait étancher.
                Binh-Dû – puisqu’il ne s’agit pas de lui – était excessivement sérieux. Il réfléchissait à la mort, pire encore : à ce que devrait être une vie morale. Il pensait que la beauté découlait de la bonté, bien sûr il se trouvait hideux. Il contemplait l’océan, assis, et il pleurait.
                Très loin de là, en un autre temps, les jonquilles préparent leur floraison. Ce ne sont pour l’instant que faisceaux de feuilles sorties du bulbe, protectrices, enserrant une promesse. Les gelées nocturnes sont de plus en plus timides. Ouvre les yeux !

mardi 2 juillet 2019

2 janvier


                Place à l’inspiration, annonce-t-elle, comme si c’était aussi simple que cela. Parole de muse. En voici une autre (de muse ; qui parle), qu’on en revienne à la simplicité du clin d’œil. Et une troisième qui, sentant venir le bout du chemin, prévient qu’elle part en breloque. Cela vaut bien un appareillage héroïque, le soleil miroite un fracas de reflets.
                La peur est un tel lieu commun qu’on s’en empêtre à l’ombre de plus hautes tours. La peur est l’ombre, tandis que planent les aigles. Tu as accosté, épuisé, heureux, tu as titubé sur la plage. Tu t’es abreuvé à une noix de coco, tu t’es enfoncé dans la forêt. Tu humais une circularité d’île, tu cherchais la trace de ceux qui t’auraient précédé, Alma !
                D’évidence tu n’es pas le premier, toute une civilisation a péri. Ce n’est pas une île mais un continent. Et ce n’est pas la peur qui t’étourdit mais la proximité du soleil, la terrible appréhension de la tristesse tel un soudain haut-le-cœur. Sous tes pieds des siècles de philosophie, devant toi la possibilité d’une apparition. Sauras-tu ne pas fermer les yeux ?

lundi 1 juillet 2019

1er janvier


                La cohérence est un serpent de mer. Elle est comme une honte, qu’on peut passer sa vie à ignorer. Pour la connaître il faut se risquer sur les flots, partir au loin en sachant que si le soleil brille bientôt la tempête soufflera.
                Mais pourquoi faire cela ? N’a-t-on pas déjà suffisamment à faire avec les lombrics du jardin potager ? Et ne sont-ils pas dignes de considération eux aussi, et même davantage, ne produisent-ils pas le compost du quotidien ?
                Le serpent de mer est la question de tes rêves. Et tu t’aperçois que ta cohérence repose sur le manque de foi. Tu n’y crois pas vraiment. D’ailleurs tu n’as aucune envie de partir affronter des monstres, tu aspires à la sérénité.
                Si tu décidais de t’en aller courir le vaste monde, ton héroïsme consisterait à ne jamais quitter le bord. Au fond tu es un trouillard ! Voilà que tu ris d’avoir au port démasqué la honte, tu es prêt, enfin, à hisser voiles et pavillon.