mardi 6 août 2019

Interlude #3

Les nuits d'été parfois sont magiques
Telle une nuit d'hiver.




jeudi 1 août 2019

Hybrides #13

J'écris sur le réel. Comme disait Lacan : "Le réel, c'est ce qui ne va pas". Et ce qui ne va pas est complexe.

-----

     Depuis deux mois, sa conscience ne tolère plus aucune faille, ne sait plus où se mettre, ni dans quelle position, aussi mal à l’aise qu’un corps qui cherche le sommeil sur des pavés. Janice se sent obscène quand elle se réveille dans son lit confortable et chaud. Obscène quand elle dessine. Quand elle ne dessine pas. Quand elle mange. Quand elle se lave. Quand elle s’habille. Quand elle monte sur son vélo et qu’il l’emmène ailleurs. (…) Quand elle dépense de l’argent pour son bien-être. Quand elle n’a qu’à ouvrir un placard pour y trouver ce qu’il lui faut.
     Janice considère avoir en commun avec Rita de ne pas entrer dans la case cubique qui lui est réservée. Certes Rita rêve d’en avoir une où se ranger à l’abri du vent, des abrutis de tarés de malades mentaux, de la gale et des araignées, tandis que Janice rêve de dynamiter celle qui lui a été attribuée, certes Rita aspire à ce que Janice abhorre, mais de fait elles sont toutes deux des fantômes dans la ville, immobiles au coin des rues, le regard fixe et une révélation au bord de la conscience. Les vrais adultes ne vivent pas cela, les citoyens équilibrés, bien intégrés, n’ont pas ces occupations. Les citoyens ordinaires ne se rendent pas malades à l’idée que d’autres êtres humains doivent subir la pluie, les citoyens ordinaires ne pleurent pas en mettant le chauffage.
     Plus aucun de ses comportements n’est intelligible à ceux qui l’entourent. (…) La semaine dernière, au cours d’une fête, elle s’est illustrée par son taux record d’alcoolémie et la virulence de ses propos, invectivant des hôtes généreux, qui avaient ouvert quelques-unes de leurs meilleures bouteilles pour lui faire plaisir, comme s’ils avaient inventé le système qui broie les faibles – et comme si elle-même se tenait à l’écart de ce système. Sa bouche était pleine des aberrations qu’elle observe sans parvenir à leur trouver une formulation assez percutante ; son impuissance à dénoncer la vérité en termes sans appel la rendait outrancière. Elle vociféra in fine que la propriété privée était une obscénité, feignant d’oublier le prêt de vingt-cinq ans qu’elle honore pour occuper une maisonnette à quelques mètres d’un grand ensemble au dernier stade du délabrement et que, ce faisant, elle participe à la gentrification du quartier populaire où elle a élu domicile, à un processus qui ne cesse de pousser les pauvres un peu plus à la périphérie, dans des logements insalubres où ils n’ont plus qu’à croupir sans recours.

Gérard Mordillat
& Fanny Chiarello (La vie effaçant toutes choses)

vendredi 26 juillet 2019

Attentives #4

La perspective du Soleil du Grand Est repose sur l’appréciation de nous-mêmes et de notre monde. (…) Nous prenons soin de notre corps, nous prenons soin de notre esprit et nous prenons soin de notre monde. Dans la mesure où nous percevons la sacralité du monde, nous devons constamment être à son service et le nettoyer. Dans l’optique du Soleil Couchant, au contraire, le lavage et le nettoyage devraient être du ressort des domestiques ; celui qui n’a pas les moyens d’embaucher quelqu’un pour le faire s’occupe du nettoyage lui-même, mais le considère comme une sale besogne. (…)

Dans la perspective du Soleil Couchant, il faut se détourner autant que possible des ordures, au point de n’avoir pas même à les regarder ; on se débarrasse tout simplement des choses désagréables. (…) S’ensuit une hiérarchie sociale fondée sur l’oppression : il y a ceux qui font disparaître les ordures et ceux qui prennent plaisir à en produire. Les gens qui en ont les moyens peuvent continuer à se repaître sans faire cas des restes. Ils peuvent se payer du luxe et se désintéresser de la réalité. Ainsi, on ne voit jamais les ordures comme il faudrait, et il est probable qu’on ne voit pas non plus la nourriture comme il faudrait. Tout est compartimenté, de sorte qu’on ne peut jamais vraiment faire l’expérience complète des choses. (Il ne s’agit pas seulement de nourriture, mais de tout ce qui se passe dans le monde du Soleil Couchant.) (…)

Par contre, la perspective du Soleil du Grand Est amène une approche très écologique, une démarche qui provient d’une double prise de conscience : en même temps que l’on découvre ce qu’il convient de faire dans une situation précise, on voit l’enchaînement organique des situations. (…) Dans le monde du Soleil du Grand Est, la hiérarchie est comme une plante fleurie qui pousse vers le haut, alors que pour le Soleil Couchant, la hiérarchie est comme un couvercle qui écrase les gens et les maintient à leur place. Dans l’optique du Soleil du Grand Est, il est possible de cultiver même les criminels, de les encourager à manifester une plus grande maturité ; par contre, dans l’optique du Soleil Couchant ils sont irrécupérables et on les exclut, ils n’ont pas l’ombre d’une chance. Ils font partie des ordures que nous préférons ne pas voir.

(Chögyam Trungpa, in "Shambhala – La voie sacrée du guerrier" (1984))

lundi 22 juillet 2019

vacance

Il paraît que nous sommes en juillet, ensuite de quoi ce sera août.
Il fait chaud aussi.
Binh-Dû reviendra quand le temps s'y prêtera mieux,
peut-être entre deux canicules ?
Au plus tard dans pas si longtemps.
(Voir ci-contre.)
Et l'on verra bien quel jour de quel mois nous serons.

samedi 20 juillet 2019

20 janvier


           Une seule fois à chaque fois. Chaque embranchement ordonne une irrévocable décision. Si tu retournes plus tard sur tes pas pour suivre une autre direction, rien de ce qui attendait ne t’aura attendu. Ou si, peut-être un semblant d’équivalence, mais tu sais bien que le temps écoulé est irrattrapable. La vie que tu aurais pu vivre, tu ne l’as pas vécue, impossible de revenir là-dessus. La vie que tu mènes est une addition continue de conséquences. L’homme que tu es ne pourrait pas être différent de l’homme que tu es.
           Il l’aurait été si, une seule fois, un autre choix. Au change tu aurais gagné ou perdu. Il vous serait malaisé de vous rencontrer – beaucoup de suspicion, de jalousie mutuelle, de reproche. Est-ce que tout va bien ? Mais en symétrie, l’homme que tu seras, l’homme que tu es ne le connais pas (il le soupçonne). L’homme que tu seras sera toujours issu de conséquences. Tu as de la chance. Tu peux devenir à partir de celui que tu es. Tu peux même te laisser devenir. Puisque personne ne t’équivaut, pas même tes dérivés ectoplasmiques.

vendredi 19 juillet 2019

19 janvier


           Encore une cinquantaine de fois, monsieur le bourreau ? S’il vous plaît. Sentir le choc au cœur lorsque l’horizon d’un coup se dévoile. Avancer lentement sur la dune, vers la mer. Embrasser le ciel immense, les nuages, la couleur des vagues. S’asseoir. Regarder regarder sentir respirer respirer encore regarder avaler le paysage tout entier. Goûter ce qui d’éternité était souvenir, la plage, la mer, le ciel et l’horizon. La beauté de cette ligne, sa courbure légère, la paix. Rêver assis, s’émouvoir. S’élever, s’agrandir. Aimer.
           On ne lit pas au pied des éoliennes. Ce n’est pas vrai. Au pied des éoliennes on ramasse des cadavres d’oiseaux coupés dont le chant aura été couvert par le bruit sourd des pales. On ne navigue pas entre les éoliennes. Ce n’est pas vrai. On y vomit nos rêves d’évasion et nos ultimes espérances. On ne sauve pas la planète avec des éoliennes. Ce n’est pas vrai. On achève de la saturer d’électricité superflue. Lire était contempler, tu te souviens. Lire, c’était goûter l’horizon. C’était vivre. Et la lame assassine tranche le cou du monde.

jeudi 18 juillet 2019

18 juillet


           Une centaine de fois même, ce ne serait pas beaucoup – certains de tes proches, tu ne les reverras pas aussi souvent d’ici à ce qu’une mort survenue ne close le compte de vos retrouvailles. Une centaine de fois déjà vous vous êtes donnés rendez-vous, et retrouvés, salués, bisés sur les deux joues. La fréquence s’accélère, la connaissance, l’appréciation. Il y a probablement un niveau de stabilité encore à atteindre, pour l’instant ça grimpe. (Ou un replat, une descente brutale – non ! – un regain ?) Mais un cœur si attentionné, as-tu déjà rencontré ?
           Car on oublie, par nécessité. Sinon comment, jamais, ranimer une flamme ? La nuit dans Paris, tous les jeunes couples portent des bonnets. Il fait froid comme en hiver, c’est l’avantage. Le métro est fermé, Vous allez où ? On va se coucher, et vous ? Nous aussi, on rentre chez nous. On va dans la même direction, alors. Si vous voulez mais on est presque arrivés : c’est au Père Lachaise. Tu as envie de rire, tu as bu un peu trop ce soir, et leurs visages te semblent familiers, des amis en compagnie desquels tu te sentirais bien. On est morts, confirment-ils.