dimanche 24 novembre 2019

24 février


           Le froid n’est pas le froid tant qu’il n’atteint pas les os. La faim n’est pas la faim tant que tu n’éprouves pas un bonheur halluciné. La soif n’est pas la soif tant que tu peux penser à ton prochain mouvement. Le désir n’est pas le désir tant qu’il n’a pas été déçu. La peur n’est pas la peur tant qu’elle n’est pas devenue panique. L’amour n’est pas l’amour tant qu’il n’est pas éternel. L’espoir n’est pas l’espoir tant qu’il n’est pas déjà un peu trop tard. Mais qu’as-tu besoin de définitions négatives ? Bois ton thé, épluche ton orange. Et sors de ta maison !
           Ce n’est pas sans risque, certes. Les rues pavillonnaires sommeillent, désertes en plein jour, c’est l’heure de la sieste. Un meurtre s’y commettrait en terrain propice, de même que les virus s’épanouissent entre deux saisons. Penses-tu. Soudain, une bille de plomb frappe la palissade du jardin que tu longeais, à quelques centimètres près, tu perdais un œil. Les fenêtres alentours ne laissent rien deviner d’un tireur embusqué. Tu ne cries pas à l’assassin, tu t’enfuis comme un étranger, dans le ciel les étourneaux forment une consolante murmuration.

samedi 23 novembre 2019

23 février


           Mais pour guérir il faut suer. Pour suer il faut boire. Pour boire il faut se lever. Pour se lever, il faut en trouver l’énergie. Pour l’énergie il faut le désir, la peur ou le devoir. Binh-Dû voit un cheval gris marcher dans la forêt, encolure baissée. Le cheval ne le voit pas beaucoup mieux qu’un arbre. Il est vieux, le cheval, et les arbres n’ont pas d’âge, sinon pour ceux qui les tronçonnent. Si tu retirais ce qui encombre tes oreilles, tu ne serais plus aussi sourd. Si tu cessais d’attendre en tailleur l’amour. Le soleil tape sans précaution aucune, la faim hésite.
           Mais pour guérir il faut ne pas manger. Pour ne pas manger il suffit de rester couché. Pour rester couché sans manger il faut vivre seul, et le lit est pourtant un champ de bataille. Binh-Dû ignore ce qu’il dirait si tout un patrimoine de métaphores n’engluait le langage commun. Quand un cheval avance dans la forêt, les naseaux frémissants au-dessus de l’humus, un soldat suit à pied – ou une jument précédait. Tu n’es ni un homme-cheval ni un homme sans cheval. Tu retiens ta hâte avec ta tristesse. Et si pour changer, vite tu guérissais ?

vendredi 22 novembre 2019

22 février


           Avec des peut-être on y sera encore demain. Et l’on continuera indéfiniment de décliner l’offre d’un baiser, Je ne veux pas te rendre malade. On se rendra malade à se défendre de soi, va-t-en, va-t’en, et l’on ressemblera de plus en plus à un fantôme dans un drap frais de la veille mais non repassé (il tombe avec des plis pas nets), déjà trempé de sueur.
           Les ajustements sont compliqués en dépit des apparences, il faut déjà parvenir à esquisser un sourire. Pas indispensable, mais préférable, cela met dans de bonnes dispositions. Surtout, il ne faut pas esquiver le regard. Comment faire, quand il se passe toujours quelque chose à l’arrière-plan ? Une menace potentielle, une meilleure offre ? Un horizon.
           Une ligne de fuite. Tu te laissais tomber sur tes genoux croûtés, d’une pichenette tu envoyais une agate sur la plaque d’égout, au plus près du calot convoité. Tu te relèves, Saisis ton vœu ! hurle une voix synthétique à tes oreilles. Oh, qu’on te laisse tranquille, défunt, ectoplasme. À chaque jour suffit son remugle, ah ! Peut-être guérira-t-on de l’imminence.

jeudi 21 novembre 2019

21 février


           La fièvre se réveille tous les soirs, et au matin elle est encore là. Presque inchangée. Elle mordille les oreilles de l’intérieur. Elle coupe la faim de la glotte, et la soif peut attendre, la soif s’écoule à contre-sens tel un fleuve remontant les montagnes. La fièvre intime de tenir sa position, quelle qu’elle soit, le jour c’est debout. Couché, assis. La fièvre aussi est un chien.
           On est tenté de lui jeter des cailloux, il sent mauvais. Sa gueule ouverte qui n’en finit pas de haleter, qui ouvre directement sur l’estomac. Plutôt regarder le ciel ou s’il n’y a pas de ciel sa lumière, paupières baissées, et se balancer dans le hamac comme dodelinent les feuilles du palmier. L’heure est tropicale, Vous pouvez arrêter de percer du béton, à côté ?!
           On ne s’entend plus rêver, ça confine au délire. Boire c’est franchir des rapides, tu échoues sur la grève. Tu secoues tes cheveux le temps d’un fugitif arc-en-ciel. Tu reprends ton souffle. Quelque chose te pique la cuisse, c’est une plante grimpante, sale bête, lâche, mais lâche ! Tu la serres par le cou. Elle résiste, se débat. Peut-être n’est-ce qu’un remord en plastique.

mercredi 20 novembre 2019

20 février


           Est-ce que tu grooves ? Comment fais-tu pour ne pas, es-tu sourd ? Même le type sur sa chaise tressaute, à deux doigts de se lever. Sa jambe bat le rythme. Près des surgelés, un homme triste passe d’un pied sur l’autre, mine de rien, ses gestes sont synchronisés.
           Comment dansait le monde avant que ne naisse la soul music ? Même dans les sociétés primitives, on n’avait pas de cette joie-là. On en avait d’autres, et du désir aussi, et de l’avidité, mais cette âme-là, surgie de quelles profondeurs, où attendait-elle ?
           Il faudrait se lever chaque matin avec Otis Reding. Sentir l’âme revenir dans le corps et mouvoir les membres comme un étirement, se sentir plante appelée par le soleil et la pluie, animal en quête d’aventures nécessaires et superflues, homme ou femme verticaux.
           Try a little tenderness, pour changer. Ce serait un profond rapport au monde, et on la hurlerait cette tendresse, on la trépignerait, et on la prolongerait d’une mélancolie si douce, en alternance. Voudrais-tu ? Est-ce que tu m’accompagnes ?

mardi 19 novembre 2019

19 février


           Que se passerait-il si tu avais le droit ? Si on te l’avait donné ou si tu l’avais pris, que se serait-il passé ? Que serais-tu devenu ? Comment aurait – différemment – tourné le monde ? Ceux que tu aimes, t’auraient-ils aimé ? T’aimeraient-ils encore ? T’en voudraient-ils à mort ?
           Tu vas te réfugier à l’étage, dans la salle de bains dont le robinet goutte, où tout se dégrade depuis des années en l’attente d’une rénovation pour laquelle l’argent manque. On ne l’utilise plus, sauf quand les WC du bas sont occupés ou pour une rapide inspection dans le miroir.
           Telle mère, telle fille, cela te ferait rire si tu en avais le cœur. Elle n’en était pas vraiment fière, plutôt étonnée, ou sceptique. Tu viens de lui avouer ta crainte de mourir d’un jour à l’autre, avec tes enfants, selon une perspective non moins rapprochée que la sienne.
           Ceux dont tu dépends, dépends-tu réellement d’eux ou est-ce une illusion ? Dois-tu dépendre d’eux à jamais ? Dépends-tu d’eux parce qu’il te serait intolérable d’envisager que ce n’est pas le cas ? Ont-ils le droit de t’en vouloir ? As-tu chaud, as-tu froid, as-tu mal ?