vendredi 6 décembre 2019

6 mars


           Les revendications pendent des réverbères comme des ombres lasses. Le ciel se rallie à la couleur des tuiles, les poutres anciennes craqueront jusqu’au matin suivant. L’expérience du jour perpétuel  échappe à nos latitudes, de même que les bouillonnements de souffre, et c’est dans un autre siècle que tu serais sorti chasser le renard.
           Est-ce une raison pour étendre tes jambes sur le matelas, le dos soutenu à l’équerre par des coussins ? Ta grand-mère se reposait ainsi, dans son enfance la télévision n’existait pas. Dans son grand âge, la fenêtre de sa chambre donnait sur le jardin et le tronc poussiéreux d’un pin maritime. Les rénovateurs ne savent rien d’elle ni de toi.
           Mais quoi que tu désires tu es toujours d’une quelconque utilité. Tu peux servir au désir de quelqu’un, directement, par procuration ou par fantasme. Tu es une idée à disposition. Un arbre déracinable dont on ne soupçonne que l’écorce. Meurs d’abord, si tu ne veux plus souffrir. Souffre d’abord, si tu choisis de vivre. Et l’amour viendra.

jeudi 5 décembre 2019

5 mars


           Tu cries sous la morsure, que s’est-il passé, qu’est-ce que c’était ? Une écharde dans l’escalier, ayant traversé le tissu ? L’urgence n’est pas à la pudeur, tu enlèves ton pantalon, inspectes ta douleur : ce qui suinte de ta cuisse. Une plaie ouverte, une bouche dentée qu’en d’autres circonstances tu aurais trouvée sublime en sa palpitation, sauf que c’est à toi que cela arrive et qu’il faut bien comprendre plus loin que les rires entendus. Il faut voir le ver qui se tortille à côté de la bouche, qui s’extrait peu à peu de ta chair. Ça y est, il est sorti, et ta cuisse se referme, déjà de l’histoire ancienne, ton ver grandit et devient petit homme qui tend les bras vers toi, tu lui refuses les tiens.
           Qu’à cela ne tienne, l’enfant part vivre sa vie, tu peux reprendre ton ascension. Dans le grenier on regarde un vieux poste de télévision à antenne incorporée et écran bombé. Une présentatrice météo pleure sans préméditation, sur fond de soleils jaunes. Devrait-on assister à cette scène, le technicien qui lui apporte un verre d’eau, qui la conduit jusqu’à une chaise où elle reprend ses esprits ? Ce qui se passe, c’est qu’elle a survolé la mer pour venir au studio, et qu’elle s’est aperçue que celle-ci était d’un noir étale, épais, inapte au moindre déferlement. Tu voudrais la consoler mais dans le grenier l’assemblée est furieuse – Tu pleures, tu pleures, mais tu ne t’occupes pas de nous !

mercredi 4 décembre 2019

4 mars


           Et si tout se résumait à la jouissance ? Toute l’électricité du monde, depuis sa création contenue dans une orange. Il n’aurait été question que de cela et tu aurais ta vie durant accusé d’obscurantisme ceux qui s’y aveuglaient comme des papillons autour d’une ampoule.
           La sublimation est une impuissance et une renonciation. La sublimation est une puissance nouvelle et un assentiment. Tu approches l’orange de tes yeux parce que son écorce épaisse ne permet pas à ton odorat d’anticiper la saveur de la pulpe et son jus sucré-acide.
           Tu contemples le ciel par-dessus les toits. Tu observes les nuages, leur délitement, leurs assemblages, les colorations qu’y déposent, par en-dessous, les vibrations du soleil. Tu fais des émules, en bon borgne que tu es. Tu vois littéralement glisser le temps, dénué de remord.
           Tu cherches des lèvres que tu voudrais chercher et qui te chercheraient aussi, ta chair sous la peau est un magma en attente. Ta solitude est d’Islande. À la fin tout recréer, le ventre vide, les bras collés au corps, au minimum happer de l’oxygène. Une main caresse ta joue.

mardi 3 décembre 2019

3 mars


      L’amour, toujours. Si une personne que tu crois aimer te demande comment ça va, instantanément mieux ça va. Si elle t’écoute, tu es plus attentif aux mots que tu prononces. Si elle te regarde, à la fois les sédiments de ton quant-à-soi s’effritent et ton intégrité reprend forme. Tes éparpillements prennent sens. Si elle te touche, grands dieux… Si tu reçois ce qu’elle te donne, alors il n’y a plus lieu de se lamenter, d’attendre, de tergiverser ; mais de répondre, vous hisser l’un l’autre un plan plus haut, et un autre encore, et de découvrir où cela mène.
      Toi qui te croyais exempt de besoins autres que primaires. Dormir, certes, boire, manger. Survivre. Respirer, seul tu marchais dans les montagnes. Parfois tu t’en vantes – la fois où tu as traversé à plat ventre un pont de glace, la fois où tu t’es perdu, la nuit, sous la seule lueur des étoiles, la fois où tu te retenais d’une main face à un à-pic de mille mètres. Toutes les fois où tu étais surhumain, tu t’en vantes, mais que tu aies besoin de réconfort ? De tendresse, de plaisir partagé ? D’écoute, que tu en aies besoin ? Laisse-toi rire ! Et admets.

lundi 2 décembre 2019

2 mars


           Un hameçon planté dans ta lippe, d’accord tu es plus vif mais peut-être pas pour longtemps. Faut voir. On ne sait jamais. On a le fort soupçon d’être inexorablement tiré vers l’épuisette mais on se débat encore. Et au fond, qu’est-ce qui a changé ? Un raccourcissement d’espérance de vie mais dans quelle proportion, selon quelles valeurs absolues ? Auparavant tu tournais en rond dans ton lac, business as usual. Tu ressentais une démangeaison ici ou là, tu donnais des coups de nageoires. Ton métabolisme routinier épargnait tes dépenses de vivacité.
           Rien vu venir mais tu as très mal à la tête, ça te lance. Tu as peur, tu t'agites en tout sens dans l’espoir de te débarrasser du sentiment de la fin. Et puis tu te calmes. Tu t’assieds bien gentiment, souris, poses des questions, n’écoutes pas les réponses. Tu t’en fiches un peu, tu cherches juste à capter de la substance vitale avant de repartir comme un voleur. Ensuite tu as honte, bien entendu. Tu te repasses le film, comprendre ce qu’il s’est passé, ce qui aurait pu se passer différemment. Tu présentes tes excuses. Peut-être avais-tu besoin de réconfort ?

dimanche 1 décembre 2019

1er mars


           Pas besoin d’être en couple pour attendre. Le nombre de positions qui ne nécessitent aucune condition préalable, quand on y pense ! Non, ce n’est pas exact, plutôt : le nombre de conditions préalables qui n’ont aucun rapport avec une position quelconque. L’attente, par exemple. Inutile de penser au sexe.

           C’est affaire de réflexe. Imaginons que tu es en couple. Vous êtes amoureux, l’un de vous deux, du moins. Peu importe que ce soit toi – bien que a priori on te le souhaite. On t’affirmerait que c’est la meilleure position, quitte à y souffrir plus fort. (Oh, tu la tiens dans tes bras pendant que le métro entre dans la station, puis elle se dégage, et tu restes sur le quai dans un fracas dégressif.) Mais vous pouvez très bien être amoureux l’un et l’autre, aucune contre-indication. Seulement l’un, l’autre, ou les deux, vous attendez. Pour vous qui n’en êtes qu’au début, l’attente est le soupçon de la déception.

           Ou bien essayons l’optimisme. Rappelle-toi, les préjudices, les bénéfices, l’instinct du brochet. On vous présente, premiers regards soutenus un peu au-delà de la simple convenance, sourires, amabilités. Deux politesses qui espèrent sans vraiment y croire – et c’est quoi ton métier, concrètement ? Les questions qui ne sont pas posées – considères-tu ta solitude comme un préjudice ? Tu repenses à ton grand amour de jeunesse, parfois elle ne veut plus voir personne. Elle répond qu’elle fera signe quand ça ira mieux. Tu attends. Elle attend – que ça aille mieux. Et s’il s’agissait d’être plus vifs ?