mardi 31 juillet 2018

31 juillet

                     Il s’agirait d’être intelligent autant que non-violent. De se mordre le « tu » dans la bouche, au premier tour de langue, de garder sa science par devers, comme une masure nichée sur l’ubac. Ou mieux, de parvenir à la transférer sur les terres du « je », à la lumière. Dans un tunnel végétal, les papillons blancs s’égaillent.
                     Vieilles âmes fragiles, leur message incite ou met en garde, comment savoir ? Plus haut dans les collines toute une maisonnée fait vibrer les enceintes d’une musique auto-tunée. Effet de la ligne à haute tension qui passe juste au-dessus et détraque le métabolisme des vaches et des cochons ? Ces hommes soulèvent la poussière des pistes carrossables.
                     Toujours fuir. On annonce trente-huit degrés pour le surlendemain et le jour d’après. Rien ne servira d’être intelligent, si ce n’est pour garantir sa survie. Grenouille dans sa casserole, être violent se révélera plus que jamais un dérisoire acte de révolte. Les tomates grilleront sur plant. Les haricots vireront au violet.

lundi 30 juillet 2018

30 juillet

           La douleur réveille, la culpabilisation écrase, la peur tasse. Débrouille-toi avec ça. Débrouillez-vous, frères humains. Dans un repli de vallons mortifiés de chaleur, où la végétation a depuis longtemps changé sa sève en huile, où les buis prématurément roussis annoncent la tabula rasa d’un prochain raz-de-marée nucléaire, subsistent les vestiges d’un chemin monacal. Ils déambulaient aux quatre coins d’un cloître écroulé, comme marchant sur l’eau. Aujourd’hui dans les communs on dresse des assiettes pour touristes en bermudas, l’araignée est ce morceau du porc situé près de l’aine, explique la serveuse tatouée en désignant son propre sexe. Mauvais coucheur ! Ingrat !
           Le sang demeure un argument. Nous serions si seuls dans l’univers, face à notre mort, face à la vie aussi. Le sang et ses affluents. Toutes ces attentions que nous déployons pour nos proches et dont sera exclu le cochon. La gratitude générée. Oui, il y avait là une cellule, un tissu conjonctif de loyautés, de preuves et de souvenirs, à délimiter son chemin de prière, à laisser éclore l’amour plutôt que le dédain. À remercier. Il fait grand jour encore tandis que bascule le soleil. Tout va bien. Le sang ne nous est pas sorti des oreilles par osmose, appelé par des trente-sept degrés à l’ombre. La nuit progresse pourtant, redoublant l’obscurité des bois. Tout ira bien.

dimanche 29 juillet 2018

29 juillet

Il fait chaud à ne plus le tolérer, quitter ces contrées, ne pas attendre ici que les courbes statistiques atteignent la température intérieure du corps humain. Un jour, on arriverait au bord du monde et alors il ne resterait plus qu’à sauter en espérant atterrir sur une planète intacte. En attendant on reste, et les après-midis on dépose sur l’oreiller un peu de bave paradoxale. Mais aucune trace de rêve n’imprime le creux de l’oreiller. Sont-ils partis devant, avant même le sommeil ? Le corps est égoïste et neutre alors qu’on s’en extrait (du corps, s’entend), n’importe qui ferait l’affaire ou presque, même l’idée d’une personne un peu connue ou largement inconnue. Tout de même, rêver est d’un autre niveau ! Avec l’apparition des étoiles, la chaleur s’atténue, deux ombres compactes traversent le chemin. C’est donc qu’il se trouve toujours des tubercules à exhumer d’un hochement du groin. Binh-Dû s’accorde un temps d’immobilité prudente, craquetant telle une macrocigale de l’espace, avant de suivre la flèche fuyante allumée dans le ciel, en direction du clocher du village où sonne l’heure, imperturbablement.

samedi 28 juillet 2018

28 juillet


Voler à quelques centimètres au-dessus du sol est un gage de vulnérabilité, félicite-t-on Binh-Dû. point n'est besoin d'être un aigle surplombant les pics enneigés.
 
Les parfums restent cantonnés à l’extérieur des rêves, seul le sentiment s’en infléchit. Ne plus toucher terre est un cauchemar potentiel, un reproche, un vertige inquiétant.

Et si nous avions le choix, vanterions-nous toujours les vertus vulnérables ? Nous avons le choix et nous tuons des animaux. Nous avons le choix et nous dédaignons le flamboiement des nuages attestant du mouvement cosmique. 

Sur la langue persiste le goût des mûres, même après qu'ont été sucées jusqu'à l'endocarpe leurs drupéoles. L'ivresse du fruit tend à la course, bras déployés, en prise d'élan.

Les sangliers ont migré vers d’autres collines, au milieu des vignes le portable émet et reçoit des ondes inaudibles. Binh-Dû est incapable de voir ce qui se passe hors de son champ vibratoire.

vendredi 27 juillet 2018

27 juillet

Pour rencontrer une personne de connaissance il suffirait de s’en remettre au hasard, marcher dans les rues d’une ville théâtralisée l’été. Ou non. Déjà bien beau si l’on arrive à se repérer entre les siècles superposés sans avoir besoin de demander l'heure. Le pont écroulé au mitan du fleuve attire inexorablement les promeneurs.
Demi-tour obligatoire, les pas mènent ensuite à l’impasse du musée, au bout du parvis papal. Depuis les salles, par les fenêtres, on aperçoit encore le fleuve, une autre forteresse, sans doute des arbres surplombant un jardin où une chanteuse aux pieds nus inspecte ses plantations, accompagnée de ses enfants.
A l’intérieur, les gardiens sourient davantage que les vierges de miséricorde. Tant d’affliction sous les dorures. Le temps long commence à se hâter, car dans un café non loin s’attable auprès de sa grand-mère un jeune homme barbu, qui fut un enfant intimidé par son oncle avant d’être perdu de vue durant une quinzaine d’années.
Sa bonne amie est encore plus jeune et ses ongles sont rouges comme la douceur et la joie, s’il te plaît, ne me vouvoie pas ! supplie l’oncle. Ils sont beaux. Les croiser dans une autre ville, à des milliers de kilomètres d’ici, doit toujours être un heureux hasard. Ou un souvenir imprécis.
Car l’histoire initiée se perpétue, tel le don d’une bague ayant appartenu à l’arrière-arrière-grand-mère. Hors du café, la question revient de l’autosuffisance. Des cases ont été cochées, mourir maintenant serait moins désolant. Le manque a été élevé au rang de la joie. Mais qu’en est-il du désir démarqué du besoin ?

[merci toujours et encore à Camille]

jeudi 26 juillet 2018

26 juillet

Binh-Dû se dit parfois qu’il est maudit. Mais Binh-Dû sait qu’il est le protégé béni des dieux. Et il sait qu’il vaut mieux savoir que se dire. Plus précisément, que la connaissance prime le récit. L’amour entre deux êtres prime à peu près tout. (L’à peu près n’étant qu’une marge de manœuvre comme pencher le visage du côté droit plutôt que gauche, descendre un bras par ci, remonter l’autre par là ; ou plus conceptuellement une concession minime faite à la prudence, contre la flamboyante exaltation des sentiments.) Sous la voûte du pont, le chant de la flûte s’harmonise avec celui de la rivière. Et sur le plateau aride ouvert aux vents (n’étaient les rangées de châtaigniers), les abeilles affairées contournent les intrus de passage, tout est à sa place, transitoire, mémorable, immédiat. Même les adieux sourient à l’avenir autant qu’au passé, apportant au moment une densité confiante. La ville peut bien étaler sa laideur, les voitures s’agréger en une file inepte. La maison familiale peut bien offrir un havre joyeux de retrouvailles. Et les vignes familières redessiner leurs courbes. Binh-Dû se dit parfois qu’il est chanceux.

mercredi 25 juillet 2018

25 juillet

Oublie aussi l’énigme de la singulière complexité, n’oublie pas d’avancer. Binh-Dû gravit à rebours le sentier qui le mène aux randonneuses, la blonde et la brune, dont l’une a assuré la veille : « On est heureuse que tu viennes ». Ils se retrouvent idéalement, au point culminant. Ensemble ils descendent la montagne, froissant une feuille rêche entre deux doigts sans parvenir à déterminer le nom de l’arbre. À l’abord du village minéral, le parfum des patates sautées ne laisse aucun doute. Dans le chœur de la chapelle aux motifs de grès rouge le son de la flûte peul s’élève. De même un cri à l’instant de plonger dans la marmite du diable. De même les gouttes d’eau perlant sur la peau, absorbées par le dernier rayon de soleil, happé sur la pointe des pieds. Oui, c’est ici le paradis. Les étoiles clignotent au milieu d’écharpes nuageuses fines comme la voie lactée. Certaines filent un état amoureux : « Mes doigts te voient – C’est toi qui est là – Aime-toi ». Le malheur n’a pas droit de cité, tout juste le fond de l’air fraîchit. « C’est notre histoire, ainsi », approuvent au loin des animaux sauvages.