vendredi 2 octobre 2020

Narcissus contrariata (12)

La cloche avait sonné. Ils ne voyaient rien. Ni même en salle des profs, tout juste Gringoire lui avait-il dit qu’il avait une sale gueule, mais c’était sa façon habituelle de plaisanter. De suggérer qu’il avait une vie sexuelle harassante, ah, ah, qui ne lui laissait pas beaucoup de temps pour dormir la nuit. Vraiment, ils ne s’apercevaient de rien ? En se lavant les mains dans les toilettes de la brasserie où il déjeunait comme à son habitude, Jumien avait baissé le regard et plissé les paupières au maximum de façon à ne rien surprendre en reflet de lui-même.

Dans la salle il avait choisi une place sans danger, vue dégagée en biais vers le comptoir. Il y avait bien un grand miroir mais aucun risque de s’y croiser, Jumien observait le flot des clients qui entraient et sortaient innocemment du cadre. Il serait bien resté plus longtemps, tout semblait ordinaire, on ne lui prêtait pas attention.

Sylvelle lui avait téléphoné, prendre des nouvelles, s’il se « sentait mieux ». Pas d’allusion plus précise, comme pour un léger mal de gorge, mais il lui en est reconnaissant. Il reprend confiance, au point d’hésiter à redescendre aux toilettes et à se regarder en face cette fois, peut-être tout est-il revenu à la normale ? Peut-être seul le miroir de la salle de bains était-il détraqué ? Mais ce raisonnement est intenable, sorte de validation de la folie qui était apparue ce matin.

Jumien paie, sort prudemment, assure ses deux dernières heures de cours sans que rien de notable s’y produise. Enhardi, il croisa même quelques mornes regards de seconde B. Dans le métro son passe déclenche sans problème les portillons, présage encourageant. Mais il s’agit encore de retourner dans l’appartement, et même en l’absence de Sylvelle qui rentrerait plus tard, de faire preuve d’un courage inouï.