jeudi 1 octobre 2020

Narcissus contrariata (11)

Vous êtes en retard Monsieur, l’accueillit un de ces petits cons. Certes pas un fayot celui-ci, au moins cela pouvait-il être porté à son crédit, mais l'un de ces élèves qu'il avait redoutés durant toute sa scolarité, intelligent, provocateur, dont les filles étaient amoureuses. Par réflexe Jumien se redressa pour jeter un œil sur l’horloge fixée derrière son bureau. Dix heures dix. Son portable indiquait dix heures deux et il était réglé sur l’horloge atomique. Sortez vos cahiers, se contenta-t-il de répliquer, soulagé qu’ils ne se fussent aperçus de rien durant le bref moment où ils avaient pu le dévisager. Il ne les regarda pas de toute l’heure, dispensant son cours à l’oreille. Pas de réaction particulière, l’ennui ordinaire d’élèves privilégiés.

Jumien n’était pas un prof populaire. Il enseignait l’histoire en pure perte, sachant qu’il aurait fallu raconter autrement. Il aurait fallu critiquer ce qui était inscrit dans les manuels, expliquer une complexité bien plus vaste que ne le suggérait la linéarité d’événements sélectionnés, consécutifs, apparemment logiques. Puisque ceci, alors cela, misère. Il se doutait bien – ce n’était pas la première fois qu’on lui faisait le coup – qu’avant son arrivée, l’élève qui l’avait apostrophé ou son voisin était grimpé sur une chaise posée sur une table pour modifier l’heure. Il pouvait même se représenter les protestations des fayots – Vous êtes immatures ! Et s’il entrait à l’instant, on recevrait tous un zéro ! Et on a déjà du retard sur le programme !