16 juillet 2020
Tu sais que tu devrais y aller progressivement, tes jambes ont perdu l’habitude. Tu as le désir, mais un corps plus raisonnable encore. Il y a une piste qui mène aux pâturages d’altitude, peut-être sauras-tu en rester là, atteindre un premier lac, t’asseoir parmi les fleurs et regarder les marmottes ; déguster un avocat et une banane, remballer peau et noyau afin de ne pas perturber l’écosystème ; puis redescendre modérément fatigué. Tu ne te sens pas trop perturbateur d’écosystème ici-haut. Tu te sens revenir chez toi, réfugié, bien accueilli, ce qui était dur c’était la vie en bas avec tous ces humains déplorables.
Le lac est trop près, tu continues, il y a encore des combes cachées plus haut, un col invisible, un contournement de pic, un second col, un retour possible par une autre vallée. Soit tu écoutes ta fatigue, soit tu entends ta puissance. Où se dissout le désespoir, la question se pose-t-elle longtemps ? Tu la poses sans sériosité à la marmotte, tu la déposes, que la marmotte la grignote – conséquence nulle pour sa flore intestinale. Tu penses au cancrelat avec qui dialogue le prisonnier à l’isolement, investi d’une personnalité voire d’une sollicitude. Vivre en absolue solitude c’est vivre sans réponse, hors les siennes propres et celles de l’univers.
Mais qui vit comme cela (hormis un prisonnier à l’isolement) ? Un peu moins absolument, on ne saurait se passer d’interactions humaines ou animales. Chaque acte provoquant une réaction indécidable de l’autre – et la confirmation de sa propre consistance que cela implique. Tu marches au-delà de ta fatigue, la puissance exprime la joie qui génère le désir qui concentre la puissance… Et la seule question qui demeure est celle de l’œuf et de la poule. La poule a trouvé un couteau, tu t’en servirais pour trancher le voile des illusions, mais elle ? Tu t’en sers pour cesser un peu de penser, le paysage t’inspire un émerveillement essoufflé, ici, c’est ici que tu voulais être.