lundi 21 juin 2021

le poil misanthrope

18 juillet 2020

Jour 3

Les gens…

(L’issue logique de l’humanité est sa destruction. C’était fascinant cette aventure de l’intelligence, elle était merveilleuse cette planète, mais soyons raisonnables : il est temps d’arrêter le massacre. Qu’elle crève donc, l’humanité !)

Certes tu es sans doute un poil misanthrope…

Mais tu t’offres cinq jours de vacances annuelles pour ne plus les entendre... Tu pars dans les montagnes à près de 3000 mètres d’altitude… Au bout de trois jours cela commence à faire effet, tu es moins déprimé, un peu apaisé… Trois jours sans informations, sans échanges ineptes, sans trop de laideur dans les oreilles, les yeux, le nez… Ce troisième jour tu n’as croisé personne depuis des heures, tu descends d’un col, cherches un bon endroit pour faire une pause… Tu le choisis avec soin, des rochers plats au milieu des rhododendrons, le soleil dans le dos, devant toi un panorama magnifique… Le chant des oiseaux et des cascades…

Quand apparaît un homme sur le sentier en contrebas qui s’immobilise et te vole ta vue. Il attend, toi aussi – qu’il reparte. Il s'avise de ta présence, te demande s’il est sur le bon sentier (comme s’il y en avait d’autres). Il attend un couple qui le rejoint en ahanant. Ça y est, ils s’extasient. Manque encore une femme qui arrive avec une lenteur lamentable tout en parlant au téléphone à une amie restée en bas qui choisit des cartes postales. Ils se prennent en photo à présent, tu fermes les yeux pour qu’ils ne te demandent rien de plus. Enfin ils repartent. Ils n’ont pas fait vingt mètres qu’ils s’arrêtent à nouveau, deux randonneurs en sens inverse avec qui commenter le fait que c’est dur, c’est beau, il fait chaud. Et sont-ils sur le bon sentier ? Ils s’entendent bien, ils rient fort. Au bout de cinq minutes ils se disent au revoir, satisfaits chacun de soi et les uns des autres. L’un des deux randonneurs laisse son ami continuer, lui s’arrête pile au centre de ton panorama pour envoyer un texto. Il grommelle, ça capte mal. Ça dure encore cinq minutes. Puis il remballe son téléphone et sort sa bite pour pisser sur le talus. Eh, oh, il y a quelqu’un ! cries-tu absurdement – la goutte qui fait déborder le vase. Il sursaute, s’excuse – Je vous avais pas vu –, râle – Ça m’a coupé l’envie. Sans se presser il disparaît.

Les gens… Les gens, ils sont pas méchants. Ils font pas exprès. Ils te prêteraient leur téléphone, ils te donneraient de la super-glu pour recoller ton rétro cassé, ils te laisseraient prendre une douche chez eux… Ils votent peut-être Le Pen, ils sont comme tout le monde, ordinaires… Mais toi, quand sauras-tu sans en souffrir constater une fois de plus leur manque de sensibilité ? Tu le leur dirais ils se vexeraient, ne comprendraient pas, te traiteraient de Parisien, te frapperaient, voteraient encore plus tranquillement Le Pen ou Macron. Toi qui comprends si bien Diogène – Ôte-toi de mon soleil ! – comment sauras-tu jamais les tolérer ? Tu tentes de convoquer l’Amour et l’humour… Tu te dis que cela en fera une bien bonne à raconter à tes amis qui ne sont pas des "gens"… Tu te dis que le récit que tu es en train d’en faire vaut bien les vingt minutes de méditation contemplative qui t’ont été subtilisées... Tu te racontes que c’est justement une leçon de vie sur la tolérance et l’humilité, qu’il est juste que tu paies pour ton sentiment de supériorité…

Puis au soir, dans le village bitumé, tu vois une adolescente un peu boulotte descendre la rue en faisant rebondir un ballon de basket, maladroitement (il se loge sous une voiture garée) mais en souriant, pleine d’une énergie de jeu… Et l’humanité, tu l’aimes à nouveau, tu ne veux pas qu’elle s’anéantisse.