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Et ainsi tu les quitterais, ils n’ont pas besoin de toi.
Youssef s’en irait, de voiture en voiture, par de petites routes. D’autres exilés, aux histoires insondables de souffrance et de courage, arriveraient.
Rémi monterait son nouveau groupe à moins qu’il ne renonce, Céline se dirigerait vers la réforme du bac avec plus ou moins d’enthousiasme (plutôt moins), elle continuerait à courir et à danser et à penser. Ensemble ils avanceraient dans leur existence commune, l’histoire de leur amour en pays privilégié, les doutes, les assurances, les désirs, et le monde tournerait comme depuis des millénaires, sur son même axe incliné.
Tu sais à peu près vers quoi ils se dirigent, à quoi ressemblera ce début d’automne 2020, tu sais ce que fut le printemps précédent. Les saisons antérieures tu les as aussi en mémoire, quand on éborgnait les manifestants dans les rues de France, les week-ends. Tout un contexte dont on ne peut s’abstraire, quand bien même Céline et Rémi habiteraient dans un recoin géographique. Déjà l’Afrique venait à eux, en une dramatique tectonique.
Ils reçoivent parfois des nouvelles, bonnes ou mauvaises, des remerciements improbables – If you go to Khartoum, come visit my uncle, his home your home! La gratitude est un point de vue secondaire, pas une motivation.
Ils sont nombreux. Les justes et les infortunés. Il fait froid, il pleut. Dehors, toujours, on tremble.