Les
pensées ne connaissent pas leur direction. Elles ne vont jamais quelque part.
Elles n’ont pas de destination. Chaque pensée forme une route et les routes
forment une carte à l’intérieur de la personne. Des routes se croisent et d’autres
se superposent, mais elles ne mènent nulle part. Les routes n’ont pas de fin
parce que le monde est un cercle et les personnes font des cercles, de petits
cercles sur terre. Personne ne peut dire : Voilà, ça y est, j’ai fini la
pensée.
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Ensuite,
j’ai fait une sieste pendant laquelle d’étranges visions me sont venues,
visions de villes terrifiantes dans lesquelles je m’abîmais : les rues n’y
avaient pas d’intersections, c’étaient des espèces de couloirs à perte de vue.
(…)
Il
y a encore un peu plus d’un mois, je ne m’étais jamais aventurée dans une perpendiculaire,
il me suffisait de savoir que je pouvais le faire à tout moment s’il m’en
prenait le désir, j’aimais voir ces mondes inconnus et pleins de promesses
s’ouvrir tout autour de moi. D’ailleurs dans les voies que j’ai récemment
explorées, il n’y avait rien de particulier, rien de plus qu’ailleurs. En
somme, ce fut une sorte de déception. Je suppose que cette perpendiculaire
n’était pas pire qu’une autre, mais je m’attendais sans doute, sans me le
formuler, à y respirer une atmosphère différente, exceptionnelle, aux vertus
magiques. Quelle idée ! On ne risque pourtant pas un jour de tourner au
coin d’une rue et de découvrir un décor d’opéra où les vrais gens vêtus avec
goût s’exprimeraient en chantant au son d’un orchestre céleste, où rien ne
serait trivial puisque même commander une salade serait l’occasion de sublimes
arias.
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Donovan
avait prévu d’étudier avec attention la façon dont Cassie déplaçait ses pièces
dans l’espoir de comprendre sa logique et, à partir de là, de recréer cette
logique dans son propre esprit embrumé. Mais, alors que Cassie déplaçait
impitoyablement ses pièces et se concentrait uniquement sur la stratégie,
Donovan ne voyait lui que d’augustes rois et reines, ainsi que les châteaux où
ils vivaient. Là, il y avait les fous qui leur servaient de conseillers, et là
les fidèles pions qui montaient la garde devant leur tour. Aucune explication
de Cassie sur les règles qui dictaient leurs mouvements ne pourrait empêcher le
garçon de réarranger ses pièces selon leur rang ou leurs relations les unes
avec les autres.
« Tu
peux pas gagner en jouant comme ça », dit Cassie en lui prenant sa reine,
imprudemment sortie de ses appartements pour caresser son coursier blanc favori.
« Tu peux même pas jouer du tout. »
Laura
Vazquez (in La semaine perpétuelle)
& Fanny Chiarello (in Une
faiblesse de Carlotta Delmont)
& Zadie
Smith (in Bien sous tous rapports)