lundi 6 décembre 2021

L'éthique, rien de moins

(33/n)

Elle commence à travailler beaucoup, l’année scolaire ayant pris son rythme de croisière. Elle-même rame derrière le paquebot, et elle déteste ça. Devoir se fixer un temps maximal de lecture par copie corrigée, par exemple, cela va à l’encontre de son… éthique, oui, rien de moins. Elle serait tentée de rajouter des demi-points quand elle consacre trop peu de temps à une correction, imaginer un barème de compensation, qui serait établi sur la base d’une proportionnalité très subjective entre effort d’écriture et implication de lecture. Mais les mathématiques et elle ça fait deux. Pour la préparation des cours elle s’en sort mieux. Elle a déjà des fiches toutes prêtes, qu’elle a utilisées les années précédentes. Il y a encore deux ans, le travail de préparation était plus stressant que celui de correction. Et les cours étaient à chaque fois une entrée dans l’arène, aussi lionceaux bâilleurs que puissent être ses élèves. Donc cela va mieux, de mieux en mieux, se répète-t-elle.

Youssef dort en bas dans le canapé, comme la veille. Il est encore plus discret que ne s’efforcent de l’être Céline et Rémi. Dans la soirée ils ont mangé tous les trois, Rémi a raconté les démarches accomplies auprès du Cada, formulaires à remplir, étapes à suivre, possibilités d’hébergement, d’aide financière minimale, de cours de français. Les soucis de justificatifs qui manquent, et de compréhension mutuelle. Youssef connaît à peine quelques mots d’anglais, il n’a pas pu échanger non plus avec le traducteur arabe. Sur la carte il a montré l’Érythrée, sa langue est peut-être le tigrigna. Tu connaissais l’existence de cette langue, toi ? a demandé Rémi, et Céline d’avouer que non, Tigrigna ? ont-ils répété à Youssef qui a hoché la tête comme à presque toutes les questions, avec un sourire timide. Parfois le sourire cède subitement la place à une expression anxieuse, alors Céline et Rémi sourient à sa place, pour rassurer.