Comme
l’a dit Churchill, ajoutai-je, l’histoire n’est qu’une succession de fichues
affaires.
Était-ce
Churchill ? demanda Zafar.
N’est-il
pas d’usage, quand on ne connaît pas l’auteur d’une citation, de l’attribuer
automatiquement à Churchill ?
Je
croyais que c’était Edna St. Vincent Millay.
L’usage
est d’attribuer automatiquement la citation à Edna St. Vincent Mullay ?
demandai-je à Zafar.
Non.
Millay a dit : Ce n’est pas vrai que la vie est une succession de foutues
affaires ; c’est une foutue affaire sempiternelle.
Voilà
qui est plus intéressant, répondis-je.
Mais
je suppose que tu as raison. En fait, comme Churchill lui-même l’a dit, la
fausse attribution des épigrammes est l’amie des lettres et l’ennemie de
l’histoire.
Il
a dit ça ?
Non,
répondit Zafar.
---
« J’ai
parfois l’impression que la vie est une succession sans fin d’au revoir, ai-je dit
il y a quelque temps à ma fille.
-
C’est drôle, a-t-elle rétorqué, l’air sincèrement surprise ; moi, j’ai
plutôt l’impression que c’est une succession de bonjours. »
---
Un
des aspects les plus vertigineux d’une vie, c’est la somme de ses déplacements.
Tout ce qu’une personne a pu voir, ressentir de par le vaste monde, ou même
dans son pâté de maisons, si elle ne l’a jamais quitté. La mort efface ce diagramme
d’un coup sec. Le savoir qui se transmet du vivant de quelqu’un est très peu de
choses en regard du savoir qui se perd à sa disparition. (…) Je parle d’une
infinité de petites intuitions, de petites constatations qu’on ne formule pas,
qu’on n’associe pas, qu’on ne pousse pas à leur terme, qu’on mélange, qu’on
oublie, qui nous traversent sans qu’on les connaisse mais déposent toutes
quelque chose dans notre cerveau. Ce qu’on héberge sans en avoir idée. Ce qu’on
sait sans le savoir. Ces fruits de l’expérience ou de l’imagination que leur
forme inachevée rend méconnaissables et impossibles à inventorier. Tout ce qui
s’entasse en nous à l’état de minerai brut mais affleure de temps en temps dans
nos pensées avec des couleurs et des propriétés étonnantes. (…) C’est ce for
intérieur, ou l’ensemble des fors intérieurs de toutes les générations humaines
cousus ensemble qui raconteraient le mieux qui nous sommes.
Zia Haider Rahman (in A la lumière de ce que nous savons)
& Joyce Maynard (in Et devant moi, le monde)
& Emmanuel Guibert (in Mike)