Elle portait un minuscule short en soie bleu marine,
laissant carrément entrevoir le bas de ses fesses, qui dépassaient juste un
tout petit peu. Ça donnait une envie presque irrésistible de les toucher. Tout
ce qu’elle disait passait à travers le filtre de la conscience qu’elle avait de
son superbe cul, les mots qu’elle prononçait étaient quasiment secondaires
comparés à la splendeur sous ce short. Pratiquement comme si elle n’était qu’un
support pour cul et short.
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Ils
nous salueraient, s’empresseraient de venir bavarder, sous-entendraient que
nous étions de vieux amis, et je froncerais un peu les sourcils comme si
j’essayais de me remémorer si nous nous étions déjà rencontrés. Je ferais part
de mes regrets en souriant. Je feindrais de ne pas me rappeler. Le photographe
qui ordonnait d’enlever le haut quel que soit le sujet de la séance. Le type
qui nous avait traitées de petites cochonnes quand il nous avait surprises en
train de nous jeter sur des croissants. Les nombreuses mains qui, lors des
essayages, ne faisaient guère attention aux épingles et aux ciseaux. L’artiste
capillaire qui avait coupé ma queue-de-cheval sans me demander la permission,
après quoi il m’avait fallu des mois avant de recouvrer la possibilité de
participer à des séances photo requérant des cheveux longs. La femme qui avait
dessiné au feutre les lignes sur mes hanches en signe de graisse excédentaire
comme si j’étais une carte du bœuf. Non, je ne me souviendrais pas d’eux – et
je ferais payer le double à tous ceux qui m’avaient laissé entendre que j’avais
intérêt à écarter les cuisses si je voulais du travail.
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« Ton
père était vraiment boucher ?
-
Ouais. Et il parlait vraiment du corps des femmes comme de morceaux de viande. "Dis donc, elle en a, de bonnes joues de veau ! Cette fille ferait
un sacré rôti, troussée, ficelée et farcie." Puis il partait d’un rire
bizarre. Ma mère, elle, se considérait comme une artiste. Quand j’avais onze
ans, elle s’est inscrite à un cours de dessin d’après nature et m’y a emmené,
pensant que ça me plairait. Je suis resté prostré sur ma chaise, à ne pas
savoir où regarder. Au bout d’un moment, le prof a dit : "Tu
dessines avec nous ?" C’était la première fois que je voyais des
seins nus – les dessiner, c’était comme les toucher. J’ai dessiné ces seins
encore et encore. Puis j’ai jeté un œil au chevalet de ma mère et me suis
aperçu qu’elle avait tout dessiné, sauf la femme. Elle avait dessiné la table
avec le vase, les fleurs, la fenêtre à l’arrière-plan, les drapés, mais pas le
modèle. Le prof lui a demandé : "Où est la jeune fille ?" "Je préfère les natures mortes, a répondu ma mère. Mon fils, en revanche,
regardez comme il la trouve belle !"
-
C’était sarcastique ? »
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Un
jour, nous discutions du film Werner
Herzog Eats His Shoe, un documentaire dans lequel on voit Herzog honorer sa
promesse de manger sa chaussure si Errol Morris terminait son film Gates of Heaven. Notre enseignante
décrivit cela comme un exemple de désir sexuel sublimé renforçant les liens du
patriarcat, « ce qui ne veut pas dire que ces deux hommes ne sont pas de
grands cinéastes, ajouta-t-elle. Simplement, la caméra opère du point de vue de
la faim et de l’appétit masculins. (…)
-
Vous pensez qu’Herzog mangeant sa chaussure est un hommage à Charlie Chaplin
mangeant une chaussure dans La Ruée vers l’or ? Ou est-ce que c’est
une simple coïncidence ?
-
Il n’y a pas de coïncidences, répondit-elle. Uniquement des versions de
l’image. »
Comme
souvent chez elle, sa phrase était plus énigmatique qu’éclairante, destinée à
prolonger la discussion.
Melissa Broder (in Sous le signe des poissons)
& Sofi Oksanen (in Le parc à chiens)
& A.M.
Homes (in Dimanche, frangin)
& Alix Ohlin (in Copies non conformes)