jeudi 13 octobre 2022

Rhizomiques #115

Elle portait un minuscule short en soie bleu marine, laissant carrément entrevoir le bas de ses fesses, qui dépassaient juste un tout petit peu. Ça donnait une envie presque irrésistible de les toucher. Tout ce qu’elle disait passait à travers le filtre de la conscience qu’elle avait de son superbe cul, les mots qu’elle prononçait étaient quasiment secondaires comparés à la splendeur sous ce short. Pratiquement comme si elle n’était qu’un support pour cul et short. 
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Ils nous salueraient, s’empresseraient de venir bavarder, sous-entendraient que nous étions de vieux amis, et je froncerais un peu les sourcils comme si j’essayais de me remémorer si nous nous étions déjà rencontrés. Je ferais part de mes regrets en souriant. Je feindrais de ne pas me rappeler. Le photographe qui ordonnait d’enlever le haut quel que soit le sujet de la séance. Le type qui nous avait traitées de petites cochonnes quand il nous avait surprises en train de nous jeter sur des croissants. Les nombreuses mains qui, lors des essayages, ne faisaient guère attention aux épingles et aux ciseaux. L’artiste capillaire qui avait coupé ma queue-de-cheval sans me demander la permission, après quoi il m’avait fallu des mois avant de recouvrer la possibilité de participer à des séances photo requérant des cheveux longs. La femme qui avait dessiné au feutre les lignes sur mes hanches en signe de graisse excédentaire comme si j’étais une carte du bœuf. Non, je ne me souviendrais pas d’eux – et je ferais payer le double à tous ceux qui m’avaient laissé entendre que j’avais intérêt à écarter les cuisses si je voulais du travail.
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« Ton père était vraiment boucher ? 
- Ouais. Et il parlait vraiment du corps des femmes comme de morceaux de viande. "Dis donc, elle en a, de bonnes joues de veau ! Cette fille ferait un sacré rôti, troussée, ficelée et farcie." Puis il partait d’un rire bizarre. Ma mère, elle, se considérait comme une artiste. Quand j’avais onze ans, elle s’est inscrite à un cours de dessin d’après nature et m’y a emmené, pensant que ça me plairait. Je suis resté prostré sur ma chaise, à ne pas savoir où regarder. Au bout d’un moment, le prof a dit : "Tu dessines avec nous ?" C’était la première fois que je voyais des seins nus – les dessiner, c’était comme les toucher. J’ai dessiné ces seins encore et encore. Puis j’ai jeté un œil au chevalet de ma mère et me suis aperçu qu’elle avait tout dessiné, sauf la femme. Elle avait dessiné la table avec le vase, les fleurs, la fenêtre à l’arrière-plan, les drapés, mais pas le modèle. Le prof lui a demandé : "Où est la jeune fille ?" "Je préfère les natures mortes, a répondu ma mère. Mon fils, en revanche, regardez comme il la trouve belle !"
- C’était sarcastique ? »
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Un jour, nous discutions du film Werner Herzog Eats His Shoe, un documentaire dans lequel on voit Herzog honorer sa promesse de manger sa chaussure si Errol Morris terminait son film Gates of Heaven. Notre enseignante décrivit cela comme un exemple de désir sexuel sublimé renforçant les liens du patriarcat, « ce qui ne veut pas dire que ces deux hommes ne sont pas de grands cinéastes, ajouta-t-elle. Simplement, la caméra opère du point de vue de la faim et de l’appétit masculins. (…) 
- Vous pensez qu’Herzog mangeant sa chaussure est un hommage à Charlie Chaplin mangeant une chaussure dans La Ruée vers l’or ? Ou est-ce que c’est une simple coïncidence ? 
- Il n’y a pas de coïncidences, répondit-elle. Uniquement des versions de l’image. » 
Comme souvent chez elle, sa phrase était plus énigmatique qu’éclairante, destinée à prolonger la discussion. 
 
Melissa Broder (in Sous le signe des poissons)
& Sofi Oksanen (in Le parc à chiens)
& A.M. Homes (in Dimanche, frangin
& Alix Ohlin (in Copies non conformes)