(D.R.)
"Le ciel se gorgeait de silence violet."
Jerzy Andrzejewski (in Les portes du paradis)
(D.R.)
"Le ciel se gorgeait de silence violet."
Jerzy Andrzejewski (in Les portes du paradis)
Nous voilà à l’orée de cette jungle des lendemains où seuls les mots-images, les mots-signes désigneront. On ne dira plus – on désignera. Une nouvelle forme représentera. Une forme simple, discontinue, que l’esprit ne lira plus mais happera. Nous serons sortis des complexes repentirs dont les phrases, leurs nuances, leurs sinuosités, leurs tâtonnements à vue plaçaient le déchiffreur sur les plans subtils d’une connivence humaine. La parole-image nous tire vers l’animalité, vers le cri, vers le raccourci, vers l’information primitive manichéenne, brute, telle qu’elle se met en place sur les écrans et à la surface des journaux. Les images parlent, prétendent ceux qui manipulent ces raccourcis. Les images sont les chocs dont l’homme du mouvement et de la fuite s’électrise, disent ceux qui prétendent fabriquer l’homme d’aujourd’hui et d’après-demain. Il suffit de savoir faire crier les images, disent-ils, nous ne voulons pas susciter la réflexion mais les réflexes des masses auxquelles ces images sont destinées. Faire choc, telle est l’expression des journalistes et des cinéastes distributeurs de ces images destinées à instruire, prétendent-ils, destinées à former l’opinion de ceux qu’ils considèrent comme une gélatine populaire. À force de manipuler cette gélatine populaire à coups d’images-cris, cela finit dans le dédain des mots et des subtilités de leur signification.
Serge Rezvani (in Les repentirs du peintre, 1993)
mercredi 5 octobre
Et de nouveau l'ivresse. Il existe aussi des sauterelles dont le vol chatoie en teintes rubis. Le ciel est d'un bleu uniforme qui n'augure rien de bon si ce n'est l'absence de pluie – mais ne vaudrait-il pas mieux que mes pieds soient trempés ? Rien ne vaut mieux, tout est parfait, le sillage blanc des avions ne peut se confondre avec celui d'un missile nucléaire. Les marmottes sont sans doute au fond de leurs trous, à dormir déjà. Il suffit d'un vulgaire couple de randonneurs pour troubler la quiétude d'un lac d'altitude. Mais alors je me carapate encore plus haut.
Je grimpe tellement plus haut que je me retrouve au sommet de tout. Je ne reconnais pas mais c'est bien là que j'avais posé le pied une première fois peu après mes quinze ans, et j'avais ramassé une pierre pour garder souvenir de ce "3200". C'est bien là que j'étais retourné à équidistance d'aujourd'hui, et j'avais glissé un ex-voto dans une anfractuosité de cairn, priant pour qu'une troisième fois je revienne avec la femme qui m'avait quittée. Je suis seul et la beauté m'enivre. Je titube sur la neige, j'en mangerais. Je mange une banane. J'ai le vertige.
Très prudemment je redescends. Il n'y a plus personne autour du lac, le soleil y fait miroiter des étoiles. Il n'y a personne sur les pentes qui cernent la vallée, hormis les ombres lentes du jour finissant. Il n'y a pas d'eau dans le lit de la cascade. Il fait froid soudain, beaucoup plus bas. C'est la fin d'une journée parfaite, la fin prononcée de l'été, la fin prochaine de ces vacances, le déclin de mon passage sur cette Terre. Heureusement mes jambes savent qu'il faut seulement marcher, encore. Elles savent qu'à tout le moins, le présent est un printemps.