mardi 24 janvier 2023

Rhizomiques #130

Je nettoie la cheminée, j’enlève les cendres, je prépare le bois pour le feu du soir. 
Je réponds au courrier, je lis les nouvelles, tout ce que je fais est très loin de l’écriture.  
Et tout ce que je fais me rappelle que je pourrais l’écrire. 
La page est l’aujourd’hui dont j’ai besoin. 
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Le mot, pour un écrivain, est avant tout tangence avec d'autres mots qu'il éveille à demi de proche en proche : l'écriture, dès qu'elle est utilisée poétiquement, est une forme d'expression "à halo".
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Le flou est une espèce en voie de disparition dans un monde où règne l’exigence de transparence. On y vante la limpidité, la clarté d’une intervention médiatique. Savoir résumer son propos en quelques mots est un savoir contemporain, un idéal d’agence immobilière.
Les discours "clairs" sont devenus ceux de communicants, qu’ils soient hommes politiques ou publicitaires. On voit au travers : ils nous vendent quelque chose. Le flou interroge. Il faut y regarder de plus près. C’est une brume de mer qui dissimule le profil d’une falaise. C’est ce trouble d’un amour naissant, qui ne s’appelle pas encore "relation". C’est une tristesse sans objet, qui surgit quand on s’y attendait le moins, au bord du bonheur. Les créatures floues ont pour elles l’espace de la fiction, qui n’aime rien tant que les personnages dont on ne saura jamais tout. Un roman ne peut être transparent, il est tissé de doutes et de solitude, celle de l'écrivain qui lui a consacré son temps. Un roman ne vend pas, il propose.

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Quand on écrit un livre, on n’écrit pas exactement ce qu’on voulait écrire. On avance le plus possible vers ce qu’on avait en tête, mais les histoires nous dépassent. Par exemple, on était d’accord pour mettre un petit morceau de soi dans un personnage, mais vraiment juste un petit morceau. Et soudain, schhhhlippp, le personnage a tout aspiré, avalé et régurgité sur la page, en particulier cette facette de soi-même que l’on voulait cacher aux autres. 
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Mon envie d’avoir un style l’emportait sur le désir d’être moi-même, car avoir du style est parfois la seule façon de se prouver que, d’une certaine manière, l’avenir va bien se passer.  
 
Erri De Luca (in Le tour de l’oie)
& Julien Gracq (in Lettrines) 
& Lola Lafon (in Quand tu écouteras cette chanson) 
& Héléna Villovitch (in Et si on mangeait les Legrand ?) 
& Adam Thirlwell (in Candide et lubrique)