Après tout, mourir ne sera pas mon affaire, pensa Andrés. Si je suis quelque chose, c’est de la vie, tu ne crois pas ? Je suis vivant, je suis parce que je suis vivant. Alors je ne vois pas comment je pourrais cesser de vivre sans cesser d’être ce que je suis. Oh raison, oh merveille.
Il s’ensuit clairement que
si en mourant je ne suis pas moi
celui qui meurt est un autre. Et que m’importe, alors ? Je puis en avoir pitié dès à présent. C’est maintenant que je souffre de ce que celui qui fut moi soit mort. Le pauvre, si méritant. Il écrivait, et tout et tout. Avec un futur si plus-que-parfait…
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Je suis habité ; je parle à qui-je-fus et qui-je-fus me parlent. Parfois, j’éprouve une gêne comme si j’étais étranger. Ils font à présent toute une société et il vient de m’arriver que je ne m’entends plus moi-même.
« Allons, leur dis-je, j’ai réglé ma vie, je ne puis plus prêter l’oreille à vos discours. A chacun son morceau du temps : vous fûtes, je suis. Je travaille, je fais un roman. Comprenez-le. Allez-vous-en. »
Mes amis m’avaient répété en effet qu’ils étaient philosophes, ce qui ne peut que me nuire. (…)
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Au souvenir de qui je fus, je vois un autre,
Et le passé n’est le présent qu’en la mémoire.
Qui je fus est un inconnu que j’aime,
Et qui plus est, en rêve seulement.
Julio Cortazar (in L’Examen)
& Henri Michaux (in Qui je fus)
& Fernando Pessoa (in Poèmes païens, trad. Michel Chandeigne, Patrick Quillier et Maria Antonia Câmara Manuel)