30 avril
Mes amis m'ont laissé une carte pédestre éditée sur mesure, la maison est au centre sur la pliure.
Je marche à grands pas rapides, comme si j'avais tout l'hiver à rattraper. Une impatience un peu ivre d'odeurs fraîches, de sensations. Au nord on traverse des bois.
Je rattrape deux randonneuses qui lambinent dans une côte.
Elles s'arrêtent pour observer une limace. Celle qui me tourne le dos sursaute quand je leur dis "Bonjour", elle ne m'avait pas entendu approcher ; elle a eu peur, je m'excuse. Trente secondes plus tard je pense à une bonne répartie que j'aurais pu faire : j'aurais montré le flocage sur mon tee-shirt, au nom d'une compagnie de théâtre et j'aurais dit fort à propos "Je ne suis pas limace, je suis Fugace". A croire que j'avais anticipé la rime en choisissant ce tee-shirt. Malheureusement je n'ai pas de répartie.
Entre deux bois il y a des prés. Sur le sentier arrive au léger galop un poulain sans attache, suivi d'un cheval monté. La cavalière s'excuse, dans l'éventualité où j'aurais eu peur, je lui souris. Trente secondes plus tard je pense à une bonne répartie que j'aurais pu faire : j'aurais secoué ma longue chevelure et j'aurais dit "Les chevaux ne me font pas peur, nous sommes frères de crinière." La rime est moins riche. Heureusement je n'ai pas de répartie.
Je n'ai pas non plus le sens de l'orientation. Déjà dans la maison trop grande je me perds, prenant à gauche en bas de l'escalier. Dans la nature je pars à l'est. Et je ne comprends pas, quand je vérifie sur la carte, pourquoi je m'éloigne toujours un peu plus de mon point de départ alors que je devrais être en train d'effectuer un cercle. A tel point que je sors de la carte.
J'ai une théorie sur la question. D'une part, je suis sujet au vertige, ce qui s'accommode mal de la rotation de la Terre ou du soleil. L'ouest ne tient pas en place à mesure que le soleil se couche. D'autre part, je suis si peu insomniaque que je dois être un peu somnambule. Quand je marche, mon esprit se met en mode hypnagogique, à faire tourner mille-et-une pensées.
Il fait nuit depuis plus d'une heure quand je réintègre la maison. A la fin je marchais sur le bas-côté d'une départementale, inquiétant les voitures de face. (Nulle répartie requise.) C'est là que j'ai entendu le chant d'un coucou. Et la fuite d'une biche à mon passage.
C'était une journée de peurs paisibles.