mardi 11 avril 2023

Les genêts crépitent au soleil

4 mai
 
 Conclusion de l'épisode précédent :
"Quoi d'autre ai-je oublié ?"

     J'avais oublié les peintures de la petite fille sur un mur du salon. Je les contemplerais pourtant jour après jour sans m'en lasser, je crois. Un grand arbre portant des pommes rouges. Des cœurs gros comme ça volant dans un ciel où flottent aussi des pochoirs de chat. Des fleurs souriantes ou tirant la langue au centre de leurs pétales. Bien entendu, ainsi je n'en dis presque rien, il faut les voir. Il faut apprécier la touche, l'énergie du geste, la vigueur des couleurs, l'audace des taches et des débordements...
     L'audace de donner naissance à des êtres aussi merveilleux que peuvent l'être des enfants, cela me dépasse.
     Tôt le matin un vacarme de moteurs m'assaille et me tire du sommeil. Avec insistance, c'est le motoculteur municipal qui tond la pelouse autour de l'église – et une défricheuse manuelle pour les finitions. Pourquoi, mais pourquoi ? Elle était très bien, la pelouse. Parsemée de pâquerettes et de boutons d'or. Et la voilà toute ratiboisée, une hécatombe de fleurs, et de laides plaques de terre mise à nu. L'humanité à nouveau me désespère, j'attends que cela passe. Enfin oui cela s'éloigne, et je peux entendre un TGV qui file, à moins que ce ne soit un avion, puis un tracteur de l'enfer, puis une mouche. On ne veut pas que je dorme. On conspire contre mon désir de paix.
     Je vais chercher des œufs à quatre kilomètres de distance, avec tout le temps nécessaire pour me perdre en chemin. Je continue par les bois, comme si j'étais un millier de kilomètres plus au sud, à l'aventure. Un groupe d'handicapés mentaux me croise, avec leurs accompagnantes, il y a là plus de joie qu'on n'en rencontre chez les vététistes.
     Je reviens avec mes œufs et avec du temps pour me perdre plus délibérément. À un moment je vois des canards et des oies, près d'un étang. À un moment je franchis une écluse fuyante, l'eau limoneuse recouvrant mes chaussures. Puis je me faufile entre les pans de mur écroulés d'un château à la grille fermée. Comme s'il n'y avait pas l'autoroute et le TGV à proximité.
     Les genêts crépitent au soleil.
     Dans les bois il fait plus sombre et le soleil se couche. C'est l'heure des sangliers et des chevreuils, je m'attarde en leur compagnie.