vendredi 29 juin 2018

29 juin

Le sourire le plus franc est un mystère. Il y a une vérité cachée derrière, qui ne passe pas par les mots, soient-ils seulement pensés. Ceux qui sourient, eux-mêmes ignorent l’étendue de ce qu’ils savent. C’est une connaissance lointaine, transmise au fil des générations à l’insu de ses gardiens, l’idée originelle que nous serions tous frères. À chacun de nous, naissance a été donnée, et depuis lors les sourires qu’on nous adresse perpétuent ce don, nous voudrions confusément nous blottir contre le sein d’une mère.
Vient l’attente, qui semble ne pouvoir jamais être comblée. On s’en satisfait dans un mouvement de flux et de reflux. On s’y complaît parfois, à distance les filles sont déjà si jolies ! On va de trop tard en trop tard, et cela pourrait durer toute une vie. Mais se dégager du flux est une autre affaire. La fougère devient fossile, on passe au temps géologique, on se perd dans le temps cosmique. Y a-t-il encore quelqu’un par ici, pour un sourire qui ne soit distraction ou réflexe reptilien, sommes-nous encore de ce monde ?

jeudi 28 juin 2018

28 juin

Quand tu marches tu n’attends pas, tournerais-tu en cercle. Cela peut durer toute une journée sous le soleil, à s’en cramer le crâne, tu n’attendras pas. Ou tu seras en train d’attendre, ce qui n’est pas attendre. Allons plus loin : cesse de marcher, reste dehors. Le souffle de vent sur ta joue, comme par l’effet de ton propre déplacement, te démontre que tu n’attends pas. Et s’il n’y a pas de vent, il y aura autre chose, un papillon, un son, l’hypothétique imminence d’un désir. Même tu t’endormirais, ce ne serait plus attente. Ne parlons pas de mourir.
Du temps où tu portais les cheveux longs tu aurais pu voir le monde d’un peu plus haut mais tu marchais voûté. Ce n’était pas désagréable, tu ne ressentais aucune douleur. Tu voyais en coin ce que la plupart des gens ne soupçonnaient pas, leur position relative dans l’espace. Leur arrivisme. Toi tu ne te souciais guère d’arriver quelque part, hormis au creux d’un sexe mythifié. L’amour était un pari amoureux. Depuis tu as réaligné ta cambrure, selon des principes ergonomiques. On pourrait te juger guindé. Mais toi tu sais qu’il n’est plus temps – d’attendre.

mercredi 27 juin 2018

27 juin

Il faudrait mettre en lien l’attente. Non pas l’attente de quoi, de qui, mais l’attente pourquoi. Ou comment ne pas attendre. Il doit bien y avoir une alternative à la défaite – qui ne soit pas non plus banale ou médiocre victoire.
On peut entendre à vingt mètres de distance, fenêtres ouvertes, le son caractéristique d’un coupe-ongles. Dans le règne de l’attente il y a agacement. L’alternative serait une averse soudaine noyant le bruit sous le bruit.
La non-attente se tient parfois à l’intersection de l’observation et du discours. Le corps contredit la fiction, ou c’est la fiction qui est en avance. L’averse tombe mais doucement, moins puissante qu’un cliquetis de clavier.
Ou l'attente signifie peu. Elle demeure absconse, un dépit, une tristesse, l'amorce d'une supposition. Les filles sont jolies et voilà tout. D'autres jeunes hommes paradent, chacun son style. L'attente, c'était l'espérance.

mardi 26 juin 2018

26 juin


Perpendiculaire serait égal, un lit est une croix, ajouterait-il s’il y avait lieu de repentir. Ce n’est pas vrai : il y aurait lieu mais il n’y a pas la place, la place est prise depuis dix jours. Les parallèles sont lancées dans la grande course du temps, déjà elles s’infléchissent, aux certitudes ne pas se fier. Si la mort était instantanée, que d’un coup il n’y ait plus rien, avant même le moindre sursaut de conscience – voire de sensation –, serait-ce préférable ? Tu lis ton journal et l’instant d’après : le néant. Ta postérité à jamais hors de question.
Dans l’allée du centre commercial une mère radieuse passe avec son bébé dans les bras près des tubes de néon verticaux qui le fascinent – « Presque attrapé ! Au suivant ! Bravo ! » Dans le jardin public, une dame en surpoids appelle d’une voix lasse les enfants dont elle a la charge – « Mangez un bout de gâteau ! Venez ! » S’il y avait repentir, il remonterait loin en amont. On effacerait la question originelle – « Qui voudra de moi ? » Et un soir comme celui-ci, le soleil plus bas que les nuages créerait un ciel à la Turner.

lundi 25 juin 2018

25 juin

Il n’y a pas un chat dehors. Des oiseaux dans les cerisiers sans plus de cerises. Des gouttes éparses sur le pare-brise, attestant qu’il a plu au cours de la nuit. Le départ du retour est toujours plus facile que celui de l’aller.
La température extérieure monte à contre-courant de l’altitude, à moins que ce ne soit dans le courant du jour qui s’avance. Quand elle diminuera à nouveau, ce sera peut-être le signe que le soleil descend ou que le Nord approche.
Entre le Sud et le Nord il y a surtout un premier amour, qui malheureusement ne sera pas disponible pour boire un verre au passage, vu qu’elle est couchée sur son dos bloqué. Compassion naturelle, et pointe de soulagement dans le regret.
Serait-ce déjà le retour du répit ? Dans un village où il ferait bon vivre, nulle âme par les rues ni aux fenêtres. Des équipements urbains dernière mode, acquis au salon des maires de France, un émoticône vert sourit et dit « Merci ! » à moins de 50km/h.
Tout bien réfléchi, demandons-nous plus à ceux que l’on choisit d’aimer ? Se consoler de l’éviscération d’un chat sur la chaussée en se disant que des vies d’oiseau seront préservées, possible, mais comment se consoler du déchirement d’un oiseau ?
Une vingtaine de jours de marche sans se presser, la distance sur pneus effectuée en un même laps de temps que la veille. (Pauses comprises, tituber dans des villages déserts.) Ce à quoi servent les voitures. La solution est l'abeille libérée par le hayon, loin de chez elle.

dimanche 24 juin 2018

24 juin

Celui qui s’inquiète de perforer la terre avec ses bâtons de marche soudain découvrira les pylônes plantés des remontées mécaniques. Le cheminement fut hideux longtemps dans ce paysage ravagé, mais indispensable à la découverte d’un vallon édénique juste avant le col.
Une, encore une prairie d’altitude parsemée de fleurs et dont l’herbe semble si tendre qu’on en mangerait. Deux, les pierres aussi stupéfiantes que les fleurs. Moins colorées, plus nervurées. Comparer leurs caractères. Trois les fées, ainsi qu’on appelle les concrétions rocheuses qui se découpent sur les crêtes quand le soleil se couche à leur hauteur.
La pierre est fractale de sa montagne, et l’éblouissement de la cornée fractal du soleil derrière les nuages (la tomographie cérébrale sera fractale au second degré). À la nuit on ne marche plus. On tâte du bâton la piste blanche. La fatigue a fait redescendre d’une arcade l’inconscience de la belle santé.

« J’ai décidé de renaître, jugeant qu’il y avait encore de quoi se réjouir. Oui, cette planète était belle ; la prochaine fois j’en chercherai une autre. »


samedi 23 juin 2018

23 juin

     Un, les nuages dirigés par le mouvement des yeux, sur la droite cet amas menaçant, par ici l’orée plus claire. Et le ciel dialogue avec Binh-Dû. [Tiens, le revoilà ?] Deux, les névés traversés, ils sont au rendez-vous, comme la réassurance que tout va bien en dépit des canicules. Pour le moment encore, tout va bien. Trois, l’eau bue à la source, dont l’esprit diffuse dans tout le corps. Encore, encore. Toujours courir parmi les fleurs et les mousses tendres.

     Retour dans les cirques magiques. La fluidité souvent laisse incrédule. D’autant que la nuit fut difficile : une chèvre avait mordu la main de Binh-Dû et les outils de l’infirmière (une scie crantée bonne à tailler dans le bois une béquille) ne lui inspiraient pas confiance. La femme qui lui voulait du bien masquait visiblement la crainte qu’il lui inspirait, et ne semblait pas vouloir le guérir d’un baiser. Lui-même, que voulait-il ? Il ne ressentait aucune douleur, mais la violence.

     Aucune douleur au jour, le ciel parfait avec ses nuages idéaux. Rien d’épique dans le bien-être et la beauté. C’en est presque fini de l’escapade, on n’ira pas plus loin à l’est. L’ombre des pluies se maintient à la frontière, l’humeur égale est raisonnable. Un serpent traversa le chemin. L’homme le regarda intensément, cherchant à comprendre son message. Le serpent s’éloigna dans les rhododendrons : « Mon ami, tu avais réclamé de la clémence. »