vendredi 28 septembre 2018

28 septembre

Dans la rame du métro, plus personne ne bouge de son propre chef. En revanche ça dodeline suivant les à-coups. Qu’est-ce que ça branle. (Question ? Affirmation !) La moitié des nuques penchées vers le giron où des doigts s’activent. Vibrations, flashs, images à agrandir, sons à se ficher dans le conduit auriculaire... À chacun son trip tubulaire. Chacun son martèlement volontaire – car des coups sont portés, les corps en portent la trace.
Ceux qui ne consultent pas leur prothèse ne paraissent pas vraiment en meilleure condition. Une femme au chignon amortisseur fait de mauvais rêves contre le vitrage. Un Africain épuisé contemple ses chaussures de sécurité. D’autres inspectent sans plus d’illusion leur reflet ou se carbonisent les doigts sur les pages d’un journal rempli d’assassinats, de catastrophes diverses et de bourrage de crâne.
Car quand cela ne cogne pas, cela s’insinue quand même. Les deux adolescentes en face de Binh-Dû s’aiment d’une amitié peut-être plus profonde que ne le seront jamais leurs futures vies de couple – où elles se perdront de vue. Binh-Dû lui-même assiste à l’élévation de son seuil d’intolérance. Bientôt il sera parfaitement convenu d’exister sans la réalité du ciel et des arbres. On jettera la clef et on se laissera glisser.

jeudi 27 septembre 2018

27 septembre


Binh-Dû marche si vite qu’il lui semble n’être pas du même temps que les autres habitants de son quartier. D’où sortent ces gens assis sur des bancs ? Ou qui attendent l’autobus ? Ou qui se disent des choses de part et d’autre d’une poussette ? Les enfants tout juste en âge de courir sont davantage du temps de Binh-Dû, il s’agit de les éviter.
Avec les plus vieux ou les plus petits ce n’est pas drôle. Trop facile. Les enfants tout juste en âge de courir courent souvent après un ballon et ils ne sont pas adroits de leurs pieds, ce qui permet à Binh-Dû de renvoyer la balle. Comme un adulte bienveillant. Il se souvient des heures glorieuses où il faisait des passes décisives, il était déjà plus âgé qu’eux.
Il marquait des buts aussi. Une fille au téléphone présente un profil kaki, c’est l’éclairage indirect du panneau publicitaire. Ou la vitesse qui distord le spectre. Au supermarché les armoires vrombissent. Binh-Dû jette l’appoint dans la bouche d’une caisse automatique, il doit recommencer l’opération car l’ordinateur est frustré de n’avoir pu lui indiquer la procédure.

mercredi 26 septembre 2018

26 septembre


La cruauté est un produit de notre empathie, et l’absence d’empathie n’est pas souhaitable non plus, raisonne Binh-Dû en pensant aux génocides. Il a de ces pensées sombres, il serait bien en peine de concevoir un manuel d’anti-guerre. Les capsules des paulownias pendent des branches comme des bombes en attente du moment de vérité ultime. Il y a encore des hommes pour aimer les pigeons, la plupart d’entre eux ne voient même plus le ciel derrière l’oiseau. Quant aux promesses d’amour, elles augurent plutôt d’un compagnonnage opportuniste.
Plus engageant est le rêve de l’amie chère, qui ne rêve bien entendu que pour elle mais en offre les fruits. Des peintures sont accrochées aux murs, Binh-Dû leur sourit, leur fait de l’œil, et ce ne sont pas tant les sujets qu’il honore que les œuvres en tant qu’objets. D’ailleurs ce n’est pas lui qui cligne, mais une femme inconnue. Pour cette femme, dans son rêve à lui, il marche sur les mains, il ignore où il dormira la nuit. Elle sera rentrée dans son pays, les cahiers de doléance seront fermés, vidée la halle d’exposition. Et l’on repartira à zéro ?

mardi 25 septembre 2018

25 septembre


Binh-Dû use des métaphores comme d’un tison dans le feu. La flambée est passée, il ne reste que des bûches largement consumées. On dirait des os rongés par le milieu, et ce serait même la métonymie d’un mâchage en règle, vorace. Par association, des centaines de souris cavaleraient au grenier, fuyant par le toit, leurs pattes produisant le staccato d’une averse impossible – à moins qu’il n’y ait plus de toit. Dans la pièce à vivre, tous lèveraient les yeux vers les poutres. Que fallait-il donc quitter ? Sommes-nous encore sur terre ou déjà en voyage, seuls au monde ? Et d’abord, combien sommes-nous, Binh-Dû n’est-il pas tout seul face à l’âtre ? Il se permet de faire durer le plaisir, ou la douleur qui est une facette voisine du plaisir. Dans la pièce d’à côté – s’il y en a une – son jumeau abruti  se morfond, il ne sait pas quoi faire de ses mains. Il a froid, tandis que Binh-Dû présente tantôt son profil gauche tantôt son profil droit à la chaleur qui émane des braises. Les flammes sont une lisière confiante. La paresse n’est pas loin, voire l’endormissement. Au bout de la pique remuent des souvenirs charnels, des galaxies infinies, cela pourrait se prolonger infiniment. Binh-Dû face à l’être est un homme qui préfère recourir aux visions aveuglantes.

lundi 24 septembre 2018

24 septembre


Retour à l’argile, une fois l’an. Au premier son poussé hors des poumons. Attention ! Comme s’il s’agissait aussi bien d’une prémonition – ce jour-ci sera inscrit sur ta pierre tombale. Rien ne presse. Le baiser de l’an passé éternue dans le courant d’air d’une porte claquée. Binh-Dû tremblerait à l’écoute de la voix aimée.
Si la porte claque c’est qu’il y a des fenêtres, et des murs pour tenir l’huisserie, un toit pour protéger des chutes, un sol nivelé pour se couper du feu des germinations. Il y a une prison qui s’ignore, sans verrous apparents. Faut-il être jeté dans le monde pour percevoir le confinement où l’on se croyait libre ?
Faut-il se jeter ? L’expérience consiste-t-elle à ouvrir péniblement des poupées gigognes ? Pire encore, se réduirait-elle à les garder encloses ? Alors, si le cycle ainsi perdure, on modèlera un cheval à la course durcie, on le posera sur le rebord de la cheminée, et on se laissera engloutir par les coussins d’un fauteuil à bascule.

dimanche 23 septembre 2018

23 septembre

De l’obéissance à la servitude il n’y a qu’un pas de nain. Celui qui sépare le raisonnement de la déroute.
Binh-Dû a lu tous les manuels, il connaît la marche à suivre. C’est pour cette raison qu’il rechigne.
Après le mot « amour », le mot « merde » est le plus convaincant. Bien sûr les contextes divergent.
Binh-Dû connaît par échantillons ce qu’il ne veut pas connaître davantage. En un sens, il creuse son trou.
Ainsi fait la marmotte, ses pattes sont si tendres qu’on croirait qu’elles saignent. Non, et elle a toutes ses dents.
Binh-Dû ne souhaite aider personne à désobéir, mais en tout homme il décèle un géant. Lequel hésite aux ronds-points.

samedi 22 septembre 2018

22 septembre

Il y a vraiment des gens sur ce piteux cercle de l’enfer qui font chauffer de l’huile et brûler de l’essence pendant des heures chaque jour pour avancer à peine plus vite que s’ils traversaient Paris à pied ? Chaque jour, et ils appellent cela « se rendre à son travail » ? (Ou en revenir, ce qui n’est pas moins une reddition tant le cycle de répétition semble devoir durer jusqu’à ce que mort s’ensuive.) Poumons cramés, neurones bousillés à force de tourner sur eux-mêmes. Il y en a même pour qui ce piétinement sur pneumatiques est un aspect du travail en soi ?
Binh-Dû a beau jeu de faire le malin, de prétendre à la candeur. Il ne rentre dans le cercle que les trente-six du mois. Ou il s’engouffre dans les sous-sols (porte des enfers plus évidente), et là aussi il peste – contre l’abrutissement et les émanations toxiques. Il ne vit jamais que dans un pays riche. Il se permet de sourire aux migrants harassés qui errent là où on les a relégués. Jusque sur les talus du périphérique. Lui, il quitte l’autoroute avant d’atteindre les avions, il longe la prison et ses barbelés couverts de détritus, il va admirer des danseurs en spirale.