La souplesse mariée à la puissance, s’y croire, météore dans la ville asphalte. Les yeux plissés face aux reflets multicolores, ne voir que la vitesse. Glisser comme le font les mutants de la nouvelle génération, mais ce sont leurs doigts qui, plus que tout autre partie du corps, sont agiles. Binh-Dû a encore des jambes, et ses tennis à semelle noire rebondissent sur le macadam.
C’est que le temps manque à force d’accentuer la relativité, une année nouvelle représente la totalité d’une vie de bébé mais un pour cent seulement de celle d’un centenaire. Ne pourrait-on plutôt concevoir la liberté de se situer où bon nous semble dans l’intervalle ? (Afin de moins se sentir vieillir, Binh-Dû tente de n’être plus qu’un seul chiffre, celui des unités.)
Il sera bien temps de dormir une heure de plus lors du prochain passage à l’heure d’hiver. C’est une journée qui marque davantage que la nouvelle saison, les élévateurs disposent les éclairages de Noël au-dessus des vitrines. Ou comment se hâter de mourir, impatients que nous sommes. Binh-Dû entend bien quant à lui désinscrire ses rides de fatigue.
dimanche 28 octobre 2018
samedi 27 octobre 2018
27 octobre
Le petit réfrigérateur vrombissait comme un chat psychopathe. Écho blafard à la toux de Binh-Dû, lit trop grand, parquet en linoléum imitation bois, rideaux de déprime dentelée, au-dehors dressée la cathédrale. Il posa ses pieds nus dans le chœur, ouvrit l’armoire à hosties, s’attendant à ce que cliquette une rangée de mignonnettes, mais rien. Seul le moteur plus proche à l’oreille et une veilleuse ouvrant aussitôt l’œil ainsi qu’un employé servile, Vous désirez, Monsieur ? Tourner la molette sur le zéro et retourner me coucher en silence.
Puis ce fut le jour, où se déroula ce qui se raconterait s’il fallait souligner l’essentiel, le plus beau, le mémorable, ce dont on se souviendra aux heures de nostalgie, puis revint la nuit.
Les passagers se rajustent discrètement dans leur reflet plaqué sur l’obscurité des campagnes. Ils ruminent alors que le train file. Ils se replongent dans les reflets plus changeants (leur a-t-on fait croire) de leurs écrans, oreillette vissée dans le cerveau. On y voit par exemple des chiens et des chats – ce n’est donc pas une légende ? Ou des adultes mal grandis, à lèvres de canard, qui se sont filmés en train de hurler. Son vis-à-vis est un gros homme qui renifle et tapote, telle une baleine ravalant son souffle ; Binh-Dû va se réfugier dans le réduit change-bébé.
Puis ce fut le jour, où se déroula ce qui se raconterait s’il fallait souligner l’essentiel, le plus beau, le mémorable, ce dont on se souviendra aux heures de nostalgie, puis revint la nuit.
Les passagers se rajustent discrètement dans leur reflet plaqué sur l’obscurité des campagnes. Ils ruminent alors que le train file. Ils se replongent dans les reflets plus changeants (leur a-t-on fait croire) de leurs écrans, oreillette vissée dans le cerveau. On y voit par exemple des chiens et des chats – ce n’est donc pas une légende ? Ou des adultes mal grandis, à lèvres de canard, qui se sont filmés en train de hurler. Son vis-à-vis est un gros homme qui renifle et tapote, telle une baleine ravalant son souffle ; Binh-Dû va se réfugier dans le réduit change-bébé.
vendredi 26 octobre 2018
26 octobre
Il s’est levé trop tôt et du mauvais pied, et maintenant il appuie sur la pédale droite, la pédale gauche, et il lui semble se rapprocher du vieux bonhomme en anorak usé qui, dans une paire ou deux de décennies, bravera vaillamment les frimas et l’extension fatidique de ses propres douleurs – si les dieux jusque là lui prêtent vie – en une trajectoire asymptotique car oui, ses jambes de vingt ans étaient plus vigoureuses ; et Binh-Dû a bien d’autres sujets de récrimination tandis qu’il traverse Paris, à commencer par ces publicités ubiquistes dont la médiocrité veule ou agressive lui endommage l’âme, à continuer par les conducteurs de SUV qui ne lui témoignent pas toute l’attention qui lui est due, c’est tout juste s’ils le voient quand ils déboîtent, et la liste serait longue encore mais un moucheron le percute soudain et s’abîme sous sa paupière... Que dire, que faire ? Penser positivement, prêche la dame assise derrière lui dans le TGV, « l’argent, la santé, tout va s’arranger dans la vie ». Cette même dame qui rit d’avoir été sifflée dans la rue, jadis ? En attendant le grand arrangement, la lune du soir, tard, est gibbeuse.
jeudi 25 octobre 2018
25 octobre
Les poneys ont chacun un petit panier attaché sous le mors, dans lequel ils trouvent à mâcher tout en transportant des enfants anesthésiés. Les parents des enfants marchent à côté dans une cotonneuse inutilité, certains textotent pour moins sentir l’odeur d’urine.
Binh-Dû n’est plus très au fait des transports en vigueur, déjà que son vélo roule de moins en moins vite au fil des années. Un chauve longiligne au manteau cintré, raide comme, dit-on, la justice, le dépasse sur sa trottinette électrique. Ce qui ne perturbe en rien les plantons du Sénat.
Et les hélicoptères continuent à tourner, à se demander comment un chanteur lanceur de S.O.S. a pu s’écraser dans le désert. L’amoureuse de Binh-Dû qui souhaite cesser de l’être lui demande, si possible, de ne plus lui écrire. L’absence est toujours possible.
À l’emplacement de la future tour où des esclaves à haut niveau de revenus auront le sentiment de dominer le fleuve – unidirectionnel – et la populace – sans badge –, des ouvriers immigrés finissent de visser un portique de sécurité. Tel un gibet sur la dalle nue.
Binh-Dû n’est plus très au fait des transports en vigueur, déjà que son vélo roule de moins en moins vite au fil des années. Un chauve longiligne au manteau cintré, raide comme, dit-on, la justice, le dépasse sur sa trottinette électrique. Ce qui ne perturbe en rien les plantons du Sénat.
Et les hélicoptères continuent à tourner, à se demander comment un chanteur lanceur de S.O.S. a pu s’écraser dans le désert. L’amoureuse de Binh-Dû qui souhaite cesser de l’être lui demande, si possible, de ne plus lui écrire. L’absence est toujours possible.
À l’emplacement de la future tour où des esclaves à haut niveau de revenus auront le sentiment de dominer le fleuve – unidirectionnel – et la populace – sans badge –, des ouvriers immigrés finissent de visser un portique de sécurité. Tel un gibet sur la dalle nue.
mercredi 24 octobre 2018
24 octobre
Elle conclut sa traversée du passage piéton par une pirouette, bras en arceaux au-dessus de la tête. Voilà, c’est mieux ! se réjouit-elle, et Binh-Dû se réjouit de concert. Vous étiez à la patinoire ? poursuit-elle dans le dos du cycliste qui l’a regardée comme si elle était saine d'esprit, et celui-ci lance à contre-vent une réponse idiote, Non.
Cela me fait plaisir de te voir, l’accueille son amie parisienne, l’une des dernières à n’avoir pas migré. Mais peut-être est-ce Binh-Dû qui le premier avait annoncé quelque chose comme Je te verrai avec grand plaisir, leurs formulations sembleraient affectées s’ils ne les pensaient pas vraiment. Tous deux ont mal au dos.
Ils remontent la rue pavée jusqu’à une crêperie réputée où il ne se souvient pas de s’être jamais assis sur un de ces charmants tabourets rembourrés. Si les tabourets appellent le rembourrage, se dit-il, alors le taboulé suggère la rémoulade. Il lui fait goûter ses tomates provençales, elle sa glace vanille. Ils aiment à dire Oui.
La conversation glisse d’un sujet à l’autre, la poésie des corps, le déferlement des vagues. Elle prévoit de se faire retirer un petit morceau de cartilage qui lui coince un nerf. Dans son sac il a apporté des fragments de caramel aux noisettes, dont la surface évoque des plaques de glace arrachées aux banquises.
Ils se séparent devant la station de métro, À bientôt.
Cela me fait plaisir de te voir, l’accueille son amie parisienne, l’une des dernières à n’avoir pas migré. Mais peut-être est-ce Binh-Dû qui le premier avait annoncé quelque chose comme Je te verrai avec grand plaisir, leurs formulations sembleraient affectées s’ils ne les pensaient pas vraiment. Tous deux ont mal au dos.
Ils remontent la rue pavée jusqu’à une crêperie réputée où il ne se souvient pas de s’être jamais assis sur un de ces charmants tabourets rembourrés. Si les tabourets appellent le rembourrage, se dit-il, alors le taboulé suggère la rémoulade. Il lui fait goûter ses tomates provençales, elle sa glace vanille. Ils aiment à dire Oui.
La conversation glisse d’un sujet à l’autre, la poésie des corps, le déferlement des vagues. Elle prévoit de se faire retirer un petit morceau de cartilage qui lui coince un nerf. Dans son sac il a apporté des fragments de caramel aux noisettes, dont la surface évoque des plaques de glace arrachées aux banquises.
Ils se séparent devant la station de métro, À bientôt.
mardi 23 octobre 2018
23 octobre
Les gouttes de pluie glissent doucement sur le pare-brise au matin. Certaines restent immobiles, les toutes petites mais aussi de plus grosses. Un rien pourrait les décrocher, elles tremblent dans le vent. Mais elles ne tombent pas. Jusqu’à ce qu’une goutte plus haut placée glisse et les emporte. Le pare-brise est constellé des étoiles qui n’ont pas brillé la nuit – trop de nuages, trop de pluie. Le phare est éteint pour la journée, il a cessé d’éclairer à intervalles métronomiques l’intérieur de la voiture où Binh-Dû s’était résolu à enrouler une écharpe autour de ses yeux. Dehors le vent souffle de face, bien que la mer soit moins en rouleaux que la veille. Il est temps d’obéir au suroît, de suivre sa flèche vers l’est.
Les essuie-glaces sont une invention paresseuse, à moins que la paresse consiste à ne pas les enclencher, Binh-Dû ne tranche pas, il n’a pas sommeil. Les gouttes d’eau filent à présent vers le haut, comme si la vitesse pouvait les renvoyer au ciel. Près de la ville-pieuvre, le flot des véhicules stagne au-dessus de maisons dont certaines sont encore habitées. À dix kilomètres du but, les voitures piétinent dans leurs vapeurs, comme chaque soir à la même heure, et sans doute chaque matin, chaque jour de la semaine. Des gens rient dans leurs oreillettes, d’autres accentuent leur masque pré-mortuaire. Folie qu’il faille replonger dans le grouillement effréné autant que statique qui tient lieu d’existence aux citadins.
Les essuie-glaces sont une invention paresseuse, à moins que la paresse consiste à ne pas les enclencher, Binh-Dû ne tranche pas, il n’a pas sommeil. Les gouttes d’eau filent à présent vers le haut, comme si la vitesse pouvait les renvoyer au ciel. Près de la ville-pieuvre, le flot des véhicules stagne au-dessus de maisons dont certaines sont encore habitées. À dix kilomètres du but, les voitures piétinent dans leurs vapeurs, comme chaque soir à la même heure, et sans doute chaque matin, chaque jour de la semaine. Des gens rient dans leurs oreillettes, d’autres accentuent leur masque pré-mortuaire. Folie qu’il faille replonger dans le grouillement effréné autant que statique qui tient lieu d’existence aux citadins.
lundi 22 octobre 2018
22 octobre
« Tu sais qu’est-ce que je pense à elle tous les jours », promet la dame sous sa capuche, le point d’interrogation flotte dans le doute. « Hurle moins fort ! » une mère admoneste son enfant, ce qui laisse tout autant perplexe. Binh-Dû reprend ses esprits à la vue d’un goéland prenant un bain de palmes dans une flaque. Puis d’une énorme araignée sur le mur de l’église, entre les ex-voto.
Le soleil n’éclaire que l’horizon. Le soleil illumine l’horizon telle une annonciation. Car l’horizon se rapproche. Les raz-de-marée arrivent ainsi, la jambe de Binh-Dû trempée la veille s’en souvient. Trois silhouettes sur fond d’écume blanche, dont l’une n’est peut-être pas un cormoran, surveillent l’avancée des vagues. Les rochers déchiquetés se suffisent à eux-mêmes.
Binh-Dû est amoureux. Paf ! Une apparition. Deux secondes à sa rencontre, au détour du sentier côtier entre Kergoaler et Kergouannou (oui, c’est vous, contactez-moi !). Auparavant, il ignorait que manquait à son expérience le coup de foudre. Ce n’était donc pas seulement première impression très favorable réclamant élaboration ultérieure et modération de raison ?
La mer crépite comme un orage, la mer, cette acharnée, voudrait bouffer du rocher. Elle envoie dans les airs des phosphorescences mêlées d’algues pourpres. La nuit tombe ainsi que décroît la probabilité de recroiser l’amour (sans être cette fois pris au dépourvu). Binh-Dû, si respectueux de son erre et des mouvements déliés, est-il fondé à regretter sa propre fugacité ?
Le soleil n’éclaire que l’horizon. Le soleil illumine l’horizon telle une annonciation. Car l’horizon se rapproche. Les raz-de-marée arrivent ainsi, la jambe de Binh-Dû trempée la veille s’en souvient. Trois silhouettes sur fond d’écume blanche, dont l’une n’est peut-être pas un cormoran, surveillent l’avancée des vagues. Les rochers déchiquetés se suffisent à eux-mêmes.
Binh-Dû est amoureux. Paf ! Une apparition. Deux secondes à sa rencontre, au détour du sentier côtier entre Kergoaler et Kergouannou (oui, c’est vous, contactez-moi !). Auparavant, il ignorait que manquait à son expérience le coup de foudre. Ce n’était donc pas seulement première impression très favorable réclamant élaboration ultérieure et modération de raison ?
La mer crépite comme un orage, la mer, cette acharnée, voudrait bouffer du rocher. Elle envoie dans les airs des phosphorescences mêlées d’algues pourpres. La nuit tombe ainsi que décroît la probabilité de recroiser l’amour (sans être cette fois pris au dépourvu). Binh-Dû, si respectueux de son erre et des mouvements déliés, est-il fondé à regretter sa propre fugacité ?
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