Encore un
jour anniversaire mais celui-ci passe trop vite pour exprimer de la façon la
plus généreuse possible un ressentiment. Il y a suffisamment de choses à faire,
ne serait-ce que glisser entre les gouttes. Pendant la nuit, Binh-Dû à rêvé
très précisément de la consistance de la glace dans le compartiment dédié du
réfrigérateur, comme si observer le dégivrage équivalait à surveiller la
cuisson d’un plat. Il s’est réveillé dans la peau d’un Esquimau moderne, il lui
restait encore une moitié de sommeil à effectuer mais il s’est rendu pieds nus
dans la cuisine pour débrancher l’alimentation du frigo, eh oui, il est comme
ça. Il rêve, ensuite il obtempère. Et puis il se recouche et se rendort, l’âme
en paix. Heureux bonhomme. Dans le théâtre le noir est fait. Les coulisses sont
un labyrinthe aux lourdes tentures, il faut croire
que derrière l’une d’elle se trouve une poignée à abaisser, une porte
derrière laquelle la lumière sera. C’est la magie fameuse, toujours revérifiée.
De même les affres à moins d’une semaine de la première, que faut-il en
révéler ? Cela ira, aussi vrai que la neige fond la bobinette cherra, et
tout recommencera.
samedi 24 novembre 2018
vendredi 23 novembre 2018
23 novembre
Et l’averse enserre dans l’allée. Un porche ouvert accueille deux pieds
mouillés, une tête d’où perle le surplus de pluie (ce qui ne fertilisera pas sous
la peau l’humus-cervelle). Binh-Dû éternue une goutte au bout de son nez. Il
reste sur le seuil, derrière lui le passage s’ouvre sur une cage d’escalier et
une cour fermée, l’odeur de bois humide et de salpêtre invite à l’aventure –
mais il ne recherche pas l’aventure. Un ours pourrait sommeiller au fond de
l’antre. À l’extérieur, un figuier aux feuilles tardivement caduques frémit
d’un millier de souvenirs. Et cela n’en finit pas de tomber.
Des créatures bombées passent, on les distingue à la couleur de leur
parapluie. Très peu de ceux-ci sont colorés. Les voitures n’en finissent pas de
rouler dans l’avenue voisine, ni les autobus, et dans les immeubles aux
alentours les perceuses de percer. On ne s’entend plus pleuvoir ! déplore
Binh-Dû, les joues ruisselantes. Comment s’étonner que les oiseaux aient
déserté ? Il se tient sur la demi-marche du seuil perché, il évalue l’épaisseur
du rideau liquide, penche son visage pour évaluer la course des nuages.
Impossible, sinon, à l’oreille de savoir sur quel pied danser.
jeudi 22 novembre 2018
22 novembre
La plupart de nos entreprises relèvent d’une pulsion de diversion.
Pourquoi, sinon, faire tout ce que nous faisons ? Pourquoi ces maisons,
ces voitures, ces passions, pourquoi ces avions ? Pourquoi ces grands magasins ?
Pourquoi ces livres qui prennent une vie à écrire, qui se lisent à l’occasion
d’une insomnie ou d’un désœuvrement ? Pourquoi les guerres – mais là,
Binh-Dû est conscient de céder à la facilité – pourquoi la conquête amoureuse –
il aborde à présent les rives de la mauvaise foi. Par les rues les gens
s’agitent.
Dans son réduit la vendeuse se réjouit de la température extérieure,
comme si crever réchauffés était un meilleur sort. « On croirait une
journée de printemps ! » s’exclame-t-elle, et Binh-Dû qui vient du
dehors acquiesce en souriant. Il empoche l’agenda de l’année prochaine, sans
doute cela prédispose-t-il à concéder un peu d’optimisme. La plupart d’entre
nous semblent prisonniers d’une destinée indolente, jeter la pierre est
contre-nature. Pendant ce temps, ceux qui dansent ne se privent pas de
renverser les pôles.
mercredi 21 novembre 2018
21 novembre
Tout ce qu’il ne faudrait pas. Tout ce qu’il faudrait : canaliser
l’obsession. Comme cette femme qui répète inlassablement ses pas de danse et
aussi bien ceux de non-danse. Toujours en proprioception, chaque geste
conscient des muscles correspondants, du jeu des articulations, du souffle qui
accompagne. À tout moment saisir l’occasion d’un étirement, et même sans
musique sauter sur ses pieds, devenir liane ou animal. Binh-Dû est happé par
une vague vulvaire, il a le temps de penser « Cette fois je vais vraiment
mourir » avant de se reprendre in
extremis.
Même pas le temps d’avoir eu peur, ni le besoin d’un soulagement. Il
est toujours vivant, soit, l’histoire continue. Comme ce couple qui descend la
rue, jamais vus encore dans le quartier, l’homme porte la barbe courte et la
femme une lampe de chevet à abat-jour. N’est-ce pas poignant ? Précisons
que la nuit est tombée, il fera bon rentrer chez soi. Binh-Dû dans cette même
rue espérait que ses épais rideaux conféreraient un peu de chaleur à la chambre
où il emmenait son amie. Cela se passe quand le vent souffle. Ce soir il ne
peut compter que sur sa propre chaleur.
mardi 20 novembre 2018
20 novembre
Dans un souci de promptitude et d’efficacité gestuelle, Binh-Dû s’est
élancé vers la porte de la salle de bains, lustrant d’une glissade fendue le
parquet. Il s’est rattrapé à la poignée, a ouvert vers l’extérieur, s’apprêtait
à atteindre le carrelage quand sa chaussette s’est accrochée à un clou dépassant
subrepticement de la porte, rabattant violemment celle-ci sur le torse en plein
élan.
C’est dommage, alors qu’il avait justement l’intention, non seulement
d’être vif et précis, mais aussi de revenir à des considérations d’ample
respiration, plus factuelles, une matérialité de danseurs modèles relevant ici
un bras, là une jambe, affinant le tableau, orientant les regards, de
plain-pied avec la réalité de l’extra-quotidien – mais sans heurt, en
douceur !
Au lieu de quoi, Binh-Dû se blottit contre le radiateur, n’osant plus trop
bouger. Il ébauche une paresseuse théorie de l’effleurement, susceptible de
revisiter tout le parcours d’une existence. Il a vaguement faim, l’image lui
vient d’un pot de yoghourt aromatisé à la framboise, à moitié entamé, dans
lequel une chenille aveugle attend que lui poussent des ailes.
lundi 19 novembre 2018
19 novembre
Au sein de
l’alcôve ça ne capte pas. Rien ne passe, hors le temps. Le téléphone n’est plus
qu’une radio cherchant en vain des stations FM. Mais Binh-Dû se doute que les
messages s’accumulent, l’inquiétude causée sera impardonnée. Faudrait-il fuir
sur un autre continent, en compagnie de cette femme qu’il n’aime ni ne désire ?
Elle sourit sans joie. À l’intérieur de chacun de ses bras, sur la peau tendre
est tatouée une estampille, telle une marque au fer attestant du propriétaire. Le
notaire parle en anciens francs, sans doute pour se donner du cachet ou gonfler
la note, il y en a pour des millions. Ce qui ne signifie pas grand-chose. De
toute façon, la question ne se pose plus de vendre ou non, mais de tolérer la
perte, nous vivons sur des mythes depuis que nous avons perdu la foi. La femme
aux bras tatoués sort de son sac une lettre qu’elle a reçue, stipulant que son
logement de fonction a été réattribué, elle ne sait pas ce qu’elle va faire.
Elle l’envie, lui, Binh-Dû ?! Mais cela ne pourra pas durer éternellement, les
cœurs s’usent à courir sans nulle chance de gagner ; en fin de compte le
téléphone grésille une présence stellaire.
dimanche 18 novembre 2018
18 novembre
Les feuilles mortes jonchent le sol comme un tapis d’apparat, comme si
la lumière du soleil, tamisée par les frondaisons, s’était déposée sur la
terre, variation parmi celles incluant la neige, la tristesse ou la joie. Bref,
c’est l’automne. La saison des disséminations inversées.
Comment vivrions-nous la disparition de nos sujets d’admiration, tous
ces êtres qui, par la grâce de leur célébrité, peuplent notre imaginaire, ces
références qui s’appartiennent si peu désormais qu’on ne peut s’empêcher de
trouver ressemblance dans les corps, les intonations de tel ou tel de nos
proches ?
Comment vivrions-nous la décimation ? Tomberions-nous au sol,
chacun à sa manière, les genoux qui fléchissent, le bras qui retient, la tête
qui cogne ? Nous endormirions-nous, seule parade possible pour amortir le
choc ? Aurions-nous à ce point horreur du vide que nous désignerions aussitôt
d’autres idoles ?
Dans la forêt, la pente trace un raccourci sur lequel Binh-Dû se laisse
glisser, il arrivera aussi vite en bas que les familles à roues et à roulettes
au terme de leurs circonvolutions. Il
aura évité moult passages obligés. Il finira fier, comptant ses bleus. Il
ouvrira ses rideaux à la lune.
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