Personne dans l’appartement quand Sylvelle y rentre. Elle
vérifie dans chaque pièce, bien que la porte d’entrée ait été fermée à clef. Sans appeler ;
demander « Jumien ? » serait tenter le diable. La hantise qu’il
réponde avec sa voix à elle... Mais s’il réapparaissait en Jumien, serait-ce
mieux ? Sylvelle s’assied dans le canapé du salon, d’habitude ce moment
marque un soulagement, les chaussures ôtées, son corps adossé au moelleux des
coussins, quelques minutes pour se délester de la tension du dehors. Sauf que
cette fois la tension n’est pas moindre, et Sylvelle reste sur le rebord du canapé,
prête à se redresser en cas de danger. En cas de bruit de clef dans la serrure.
Si Jumien redevenait lui-même et ne se souvenait de rien d’anormal ?
vendredi 12 avril 2019
jeudi 11 avril 2019
§ 20 et 21
Il s’est fait jouir plusieurs fois, à peine commence-t-il à
s’en lasser. Il ne se savait pas si bon amant. Il avait un peu oublié à quel
point il aimait le corps de Sylvelle. On pourrait croire que rien de mieux
n’aurait pu arriver à leur couple ! Encore faudrait-il qu’elle y
participe... Il est devenu leur couple à lui tout seul, comme le renversement radical
d’un processus masturbatoire. Bien sûr il y manque quelque chose, s’il peut à
présent disposer de Sylvelle à tout moment, lui-même est absent du tableau. Son
propre corps, son propre sexe dont l’usage était un indubitable plaisir. Jumien
aimerait pouvoir se pénétrer, sentir ce que cela fait d’être Sylvelle pénétrée
par Jumien, oui mais comment faire ? Il faudrait que la vraie Sylvelle
devienne Jumien.
Quant à se faire pénétrer par quelqu’un d’autre qu’elle,
c’est hors de question. De ce côté-là, rien n’a changé. Mais peut-être est-il
devenu lesbienne ? Peu importe, les catégories ont surtout pour fonction
de se rassurer soi-même, telle n’est pas sa préoccupation principale à l’heure
actuelle. Disons qu’il serait lesbienne et qu’il ferait une exception pour
Jumien. L’occasion est tentante en revanche de faire la connaissance d’autres
femmes que Sylvelle. Surtout si celle-ci persiste dans son hostilité ! Jusqu’alors
il lui avait toujours été fidèle, mais leur couple battait de l’aile,
non ? Jumien se sent en meilleure forme que depuis longtemps, il meurt de
faim. Déjà midi, il a somnolé. Il faudrait aussi prévenir le lycée, mais avec
sa voix c’est impossible.
mercredi 10 avril 2019
§ 19
Que fait-elle ? Où est-elle ? L’autre. Il paraît
que les jumeaux ont un sixième sens qui leur fait ressentir ce que vit leur
semblable, même à distance. Sylvelle ressent surtout de la peur. Cela s’accroît
à mesure qu’elle se rapproche de la porte de leur appartement. Elle aurait pu
tenter d’appeler Jumien sur son portable, peut-être aurait-il répondu ?
Peut-être le vrai Jumien est-il quelque part où il ne peut pas communiquer, en
manque de forfait, et il attendrait depuis minuit la veille qu’elle vienne à
son aide ? Entre eux deux, il y avait bien quelque chose qui ressemblait à
un sixième sens, du moins aux débuts de leur relation. Ils se devançaient
souvent l’un l’autre, leurs pensées, leurs gestes, c’était merveille de se
trouver. Là, rien de tel.
mardi 9 avril 2019
§ 18
Alors que la journée avance, il devient clair qu’elle aura
besoin d’une journée supplémentaire. Qu’il ne suffira pas de rester tard au
bureau pour éviter de retourner à la maison où l’attend Dieu sait quoi. Qu’en
tout état de cause il lui faudra affronter cette chose qui lui arrive – elle
hésite à penser que cela leur arrive,
tant il est inconcevable que quelque chose arrive encore à celui qui était
Jumien et qui a disparu au cours de la nuit. Devrait-elle se munir d’une arme,
qui soit moins effrayante qu’un couteau et plus sérieuse qu’une poêle à
frire ? Non, elle se connaît, et elle ne voudrait pas vraiment lui faire
du mal. Faudrait-elle qu’elle prenne conseil auprès de quelqu’un ? Non, si
même à Sophiraphe elle n’a pu se confier. Pourquoi l’autre n’a-t-elle pas téléphoné de tout ce temps ?
lundi 8 avril 2019
§ 15, 16 et 17
Sylvelle ne sait pas quoi raconter à Sopiraphe qui lui fait
remarquer son air fatigué alors qu’elles font la queue au self. Dire qu’elle a
passé une mauvaise nuit ne suffira pas. Et si elle ne dit rien à Sophiraphe, à
qui pourra-t-elle se confier ? Je crois que je vais quitter Jumien, je ne
le supporte plus. Encore, qu’est-ce qu’il a fait cette fois ? Il n’a rien
fait, c’est juste sa façon d’être. Il t’a dit quelque chose ? Non, tu le
connais, jamais un mot plus haut que l’autre. Oui mais il peut être maladroit
parfois, je me souviens de la fois où il t’avait dit qu’il ne serait jamais
tombé amoureux si tu avais eu des cheveux plus fins. Sylvelle rit malgré elle,
c’est vrai que sa maladresse confinait à la goujaterie. Si seulement il n’y
avait que cela.
Qu’allait-il se passer si elle le trouvait toujours chez eux
quand elle rentrerait, ce soir ? Il n’avait pas pu aller travailler dans
cet état, il ne pourrait aller nulle part sous son ancienne identité. Et en
aucun cas se montrer en sa présence à elle. À moins de passer pour sa jumelle,
tombée du ciel. Elle ne voulait pas
d’une jumelle, c’était déjà bien assez difficile d’être soi ! Tu trouves
que j’ai changé ? demande-t-elle à Sophiraphe. Dans quel sens ?
Physiquement. Non, tu as l’air fatigué mais à part ça tu es bien ma Sylvelle
préférée. Aujourd’hui la blague est moins drôle, Sylvelle écrase sa portion de
poisson pour en révéler des arêtes. J’ai failli le frapper ce matin, j’étais
hors de moi. Je suis sûre que tu avais une bonne raison, allez, raconte.
Mais Sylvelle secoue la tête, Avec un peu de chance il
partira de lui-même, de toute façon c’est comme s’il n’était déjà plus là, en
un sens, je veux dire d’une certaine manière il est déjà parti, ce qui reste de
lui ce n’est plus lui et je suis seule avec moi-même. Sophiraphe reste perplexe
mais Sylvelle ne tient pas à s’expliquer davantage, elle est allée aussi loin
qu’elle s’en sentait capable. La pomme et le yoghourt, elle les emporte pour
plus tard. Il lui faut finir de rédiger la première mouture de la notice
d’agrémentation que le laboratoire enverra aux autorités sanitaires, et rien
n’est simple de ce côté-ci non plus. On lui a donné un rapport savamment confus
qu’il lui faut décrypter correctement avant de le retraduire confusément, c’est
son métier.
dimanche 7 avril 2019
§ 14
Allongé sur le dos, reprenant une respiration normale, il a
envie d’appeler Sylvelle. Il faudrait qu’elle soit ici à ses côtés, elle lui
manque. Jumien rit, c’était donc peut-être cela, l’amour : elle lui manque en état de parfaite satiété ? Mais Sylvelle est sans doute peu disposée à
partager cet élan d’affection, elle est partie après l’avoir menacé avec la
poêle, tout de même. Le mur en garde une trace. Du reste, si ce n’est pas son
corps qui lui manque – puisque Jumien peut désormais en jouir à volonté – ce
n’est pas non plus son mauvais caractère, sa colère ou ses reproches. Il faudra
qu’elle se fasse à la nouvelle situation, comme il est en train de s’y faire
lui-même. À moins qu’elle ne le quitte ? Et si pour elle, c’était surtout
le corps de Jumien qui comptait ?
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