dimanche 8 décembre 2019

8 mars


           Pourquoi cette attirance envers la docilité ? Pour des raisons évidentes et assez médiocres, on en a vite fait le tour. Pourquoi cette rage meurtrière ? Idem. Qu’en faire ?
           Les affidés ont bien mangé, et maintenant ils se rajustent sur le trottoir, éperdus de servilité devant le président. Perversion reboostée, tendance psychopathique élevée.
           La colère de l’autre t’est indispensable. En l’absence de colère, qu’ils aillent voir ailleurs, tu n’y seras pas. Mais qu’un sort à cette colère soit fait, un traitement alchimique.
           Une femme traverse la rue au passage protégé avec sous le bras droit vingt-quatre rouleaux de papier-toilette et sous le bras gauche vingt-quatre rouleaux de papier-toilette.
           Le petit homme qui se penche à sa fenêtre par-dessus la nappe qu’il vient de secouer est plus chauve d’un côté de sa tête. Il regarde tomber les dernières miettes.
           La résistance, donc, mais en préalable la douceur. Entre les deux un rire éclatant, indécis, amoureux, il y a le choix. Les bras sont faits pour qu’on s’y serre à deux.

samedi 7 décembre 2019

7 mars


Attendre, tu sais faire, et la tristesse tu connais. Une femme il y a longtemps te l’a confirmé, elle était mariée à un sportif. Vous travailliez ensemble dans une tour de bureaux jumelle d’une autre, comportant bien trop d’étages pour qu’on tolère ta préférence pour les escaliers. Tu mentais tellement bien, peut-être te fit-elle cette dernière réflexion dans le hall devant l’ascenseur, alors que vous regardiez les chiffres rouges décroître. Peut-être étaient-ce deux commentaires distincts dans le temps, auxquels elle n’accordait guère d’importance. Une autre fois tu faisais semblant de discuter avec un collègue d'origine asiatique comme toi, elle ne voulait pas croire que votre langue commune était factice. L’attente est tristesse dans l'écho d'un exil, mais la passion hâtive est mensonge. Cette hâte te laisse toujours sceptique, comme si tu percevais le germe du désenchantement dès le premier chant. Est-ce défectuosité de ta part ? Tu guettes le moment suspendu, le moment déraisonnable, et ton attitude suggère de ne pas insister avant une bonne nuit de sommeil. L’aube pointant tu rentres te coucher.

vendredi 6 décembre 2019

6 mars


           Les revendications pendent des réverbères comme des ombres lasses. Le ciel se rallie à la couleur des tuiles, les poutres anciennes craqueront jusqu’au matin suivant. L’expérience du jour perpétuel  échappe à nos latitudes, de même que les bouillonnements de souffre, et c’est dans un autre siècle que tu serais sorti chasser le renard.
           Est-ce une raison pour étendre tes jambes sur le matelas, le dos soutenu à l’équerre par des coussins ? Ta grand-mère se reposait ainsi, dans son enfance la télévision n’existait pas. Dans son grand âge, la fenêtre de sa chambre donnait sur le jardin et le tronc poussiéreux d’un pin maritime. Les rénovateurs ne savent rien d’elle ni de toi.
           Mais quoi que tu désires tu es toujours d’une quelconque utilité. Tu peux servir au désir de quelqu’un, directement, par procuration ou par fantasme. Tu es une idée à disposition. Un arbre déracinable dont on ne soupçonne que l’écorce. Meurs d’abord, si tu ne veux plus souffrir. Souffre d’abord, si tu choisis de vivre. Et l’amour viendra.

jeudi 5 décembre 2019

5 mars


           Tu cries sous la morsure, que s’est-il passé, qu’est-ce que c’était ? Une écharde dans l’escalier, ayant traversé le tissu ? L’urgence n’est pas à la pudeur, tu enlèves ton pantalon, inspectes ta douleur : ce qui suinte de ta cuisse. Une plaie ouverte, une bouche dentée qu’en d’autres circonstances tu aurais trouvée sublime en sa palpitation, sauf que c’est à toi que cela arrive et qu’il faut bien comprendre plus loin que les rires entendus. Il faut voir le ver qui se tortille à côté de la bouche, qui s’extrait peu à peu de ta chair. Ça y est, il est sorti, et ta cuisse se referme, déjà de l’histoire ancienne, ton ver grandit et devient petit homme qui tend les bras vers toi, tu lui refuses les tiens.
           Qu’à cela ne tienne, l’enfant part vivre sa vie, tu peux reprendre ton ascension. Dans le grenier on regarde un vieux poste de télévision à antenne incorporée et écran bombé. Une présentatrice météo pleure sans préméditation, sur fond de soleils jaunes. Devrait-on assister à cette scène, le technicien qui lui apporte un verre d’eau, qui la conduit jusqu’à une chaise où elle reprend ses esprits ? Ce qui se passe, c’est qu’elle a survolé la mer pour venir au studio, et qu’elle s’est aperçue que celle-ci était d’un noir étale, épais, inapte au moindre déferlement. Tu voudrais la consoler mais dans le grenier l’assemblée est furieuse – Tu pleures, tu pleures, mais tu ne t’occupes pas de nous !

mercredi 4 décembre 2019

4 mars


           Et si tout se résumait à la jouissance ? Toute l’électricité du monde, depuis sa création contenue dans une orange. Il n’aurait été question que de cela et tu aurais ta vie durant accusé d’obscurantisme ceux qui s’y aveuglaient comme des papillons autour d’une ampoule.
           La sublimation est une impuissance et une renonciation. La sublimation est une puissance nouvelle et un assentiment. Tu approches l’orange de tes yeux parce que son écorce épaisse ne permet pas à ton odorat d’anticiper la saveur de la pulpe et son jus sucré-acide.
           Tu contemples le ciel par-dessus les toits. Tu observes les nuages, leur délitement, leurs assemblages, les colorations qu’y déposent, par en-dessous, les vibrations du soleil. Tu fais des émules, en bon borgne que tu es. Tu vois littéralement glisser le temps, dénué de remord.
           Tu cherches des lèvres que tu voudrais chercher et qui te chercheraient aussi, ta chair sous la peau est un magma en attente. Ta solitude est d’Islande. À la fin tout recréer, le ventre vide, les bras collés au corps, au minimum happer de l’oxygène. Une main caresse ta joue.

mardi 3 décembre 2019

3 mars


      L’amour, toujours. Si une personne que tu crois aimer te demande comment ça va, instantanément mieux ça va. Si elle t’écoute, tu es plus attentif aux mots que tu prononces. Si elle te regarde, à la fois les sédiments de ton quant-à-soi s’effritent et ton intégrité reprend forme. Tes éparpillements prennent sens. Si elle te touche, grands dieux… Si tu reçois ce qu’elle te donne, alors il n’y a plus lieu de se lamenter, d’attendre, de tergiverser ; mais de répondre, vous hisser l’un l’autre un plan plus haut, et un autre encore, et de découvrir où cela mène.
      Toi qui te croyais exempt de besoins autres que primaires. Dormir, certes, boire, manger. Survivre. Respirer, seul tu marchais dans les montagnes. Parfois tu t’en vantes – la fois où tu as traversé à plat ventre un pont de glace, la fois où tu t’es perdu, la nuit, sous la seule lueur des étoiles, la fois où tu te retenais d’une main face à un à-pic de mille mètres. Toutes les fois où tu étais surhumain, tu t’en vantes, mais que tu aies besoin de réconfort ? De tendresse, de plaisir partagé ? D’écoute, que tu en aies besoin ? Laisse-toi rire ! Et admets.