samedi 3 octobre 2020
Narcissus contrariata (13)
vendredi 2 octobre 2020
Narcissus contrariata (12)
Dans la salle il avait choisi une place sans danger, vue dégagée en biais vers le comptoir. Il y avait bien un grand miroir mais aucun risque de s’y croiser, Jumien observait le flot des clients qui entraient et sortaient innocemment du cadre. Il serait bien resté plus longtemps, tout semblait ordinaire, on ne lui prêtait pas attention.
Sylvelle lui avait téléphoné, prendre des nouvelles, s’il se « sentait mieux ». Pas d’allusion plus précise, comme pour un léger mal de gorge, mais il lui en est reconnaissant. Il reprend confiance, au point d’hésiter à redescendre aux toilettes et à se regarder en face cette fois, peut-être tout est-il revenu à la normale ? Peut-être seul le miroir de la salle de bains était-il détraqué ? Mais ce raisonnement est intenable, sorte de validation de la folie qui était apparue ce matin.
Jumien paie, sort prudemment, assure ses deux dernières heures de cours sans que rien de notable s’y produise. Enhardi, il croisa même quelques mornes regards de seconde B. Dans le métro son passe déclenche sans problème les portillons, présage encourageant. Mais il s’agit encore de retourner dans l’appartement, et même en l’absence de Sylvelle qui rentrerait plus tard, de faire preuve d’un courage inouï.
jeudi 1 octobre 2020
Narcissus contrariata (11)
Jumien n’était pas un prof populaire. Il enseignait l’histoire en pure perte, sachant qu’il aurait fallu raconter autrement. Il aurait fallu critiquer ce qui était inscrit dans les manuels, expliquer une complexité bien plus vaste que ne le suggérait la linéarité d’événements sélectionnés, consécutifs, apparemment logiques. Puisque ceci, alors cela, misère. Il se doutait bien – ce n’était pas la première fois qu’on lui faisait le coup – qu’avant son arrivée, l’élève qui l’avait apostrophé ou son voisin était grimpé sur une chaise posée sur une table pour modifier l’heure. Il pouvait même se représenter les protestations des fayots – Vous êtes immatures ! Et s’il entrait à l’instant, on recevrait tous un zéro ! Et on a déjà du retard sur le programme !
mercredi 30 septembre 2020
Narcissus contrariata (10)
Son passe fit retentir un son aigre au moment de franchir le tourniquet du métro, comme s’il l’avait usurpé, il réessaya sans plus de réussite, finit par se contorsionner pour se dégager de l’embarras. Heureusement il était maigre, heureusement les gens derrière lui n’avaient vu que son dos, heureusement aucun contrôleur ne vint l’arrêter et le regarder en face. Si visiblement monstrueux. Mais il ne pourrait pas tenir longtemps.
Quitter l’appartement avait été déraisonnable, mais y rester l'eût été davantage, se souvint-il, du moins c’était ce qu’il avait pensé alors qu’il renonçait à téléphoner au lycée en inventant une bonne raison d’être souffrant et de ne pouvoir assurer ses cours. La seconde A remarquerait-elle quelque chose ? Est-ce que, pour une fois, il attirerait l’attention de ses élèves au-delà des quatre fayots du premier rang ?
mardi 29 septembre 2020
Narcissus contrariata (9)
lundi 28 septembre 2020
Narcissus contrariata (8)
dimanche 27 septembre 2020
Narcissus contrariata (7)
Après deux ou trois secondes d’hésitation, il osa regarder leur image. Sylvelle ne comprenait pas : Et alors, quoi ? Comme si elle ne voyait pas qu’il n’était plus le même. Il leva lentement une main, l’autre leva la main opposée. C’était une souffrance, rien que d’y assister. Tu comprends maintenant ? demanda-t-il. Qu’y a-t-il à comprendre ? répondit-elle à son reflet. Mais enfin c’est flagrant ! Quand je lève ma main droite ici, l’autre lève sa main gauche, comment tu expliques ça ? Jumien, c’est le principe du miroir, tout est inversé, si tu es droitier ton reflet est gaucher, ne me dis pas que tu le découvres à l’instant ? Mais bien sûr que je le sais, c’est justement le problème : je lève ma main droite de droitier et l’autre là-bas lève aussi sa main droite, ça s’inverse plus comme ça devrait ! Et il n’y a pas que ça, c’est tout mon visage qui est méconnaissable, ne me dis pas que cela ne te frappe pas ? Sylvelle le regarda attentivement dans le miroir, ils y croisaient leurs yeux. Jumien était au désespoir : visiblement leur couple était fichu, ils n’allaient plus du tout ensemble. Déjà auparavant il avait des doutes mais à présent c’était clair, il n’avait pas sa place auprès d’elle, il était une erreur, une abomination, que Sylvelle demeure à son côté constituait en soi un outrage au bon sens. Elle entoura ses épaules de ses bras, l’embrassa sur la nuque, Viens, ne restons pas là.