Sylvelle remit le beurre dans
son compartiment, d’un coup pressée de s’en aller travailler, laisser son
compagnon à sa maussaderie. Autant elle pouvait être attentionnée et patiente,
autant elle ne se sentait aucune vocation à lui tenir la main s’il se lançait
dans une scène de lamentation déprimée, et je ne vaux rien, et je n’ai plus
l’énergie, et le monde est une saloperie... Et qu’est-ce que tu fais avec moi,
et heureusement que tu es là... Cela faisait longtemps, ce n’avait jamais été
aussi soudain. Elle avait cru qu’il lui était arrivé quelque chose de grave
cette fois, avait failli s’y laisser prendre mais non, en fait c’était toujours
la même chanson. S’il n’avait pas fait suivre son reproche d’excuses désolées (« Je
ne voulais pas dire ça, c’est très bien les petits pains suédois »), elle
aurait été plus compréhensive, plus longtemps, mais le voir là, avachi sur une
chaise de la cuisine, tête baissée, marmonnant, c’était pathétique. Elle se
brûla la langue en expédiant son café, ce qui lui donna mauvaise conscience, Appelle-moi dans la journée, lança-t-elle au moment de
quitter l’appartement. Jumien la regarda comme s’il ne comprenait pas ou que ce
qu’elle disait n’avait aucun sens. Elle ferma la porte.