mardi 29 septembre 2020

Narcissus contrariata (9)

Sylvelle remit le beurre dans son compartiment, d’un coup pressée de s’en aller travailler, laisser son compagnon à sa maussaderie. Autant elle pouvait être attentionnée et patiente, autant elle ne se sentait aucune vocation à lui tenir la main s’il se lançait dans une scène de lamentation déprimée, et je ne vaux rien, et je n’ai plus l’énergie, et le monde est une saloperie... Et qu’est-ce que tu fais avec moi, et heureusement que tu es là... Cela faisait longtemps, ce n’avait jamais été aussi soudain. Elle avait cru qu’il lui était arrivé quelque chose de grave cette fois, avait failli s’y laisser prendre mais non, en fait c’était toujours la même chanson. S’il n’avait pas fait suivre son reproche d’excuses désolées (« Je ne voulais pas dire ça, c’est très bien les petits pains suédois »), elle aurait été plus compréhensive, plus longtemps, mais le voir là, avachi sur une chaise de la cuisine, tête baissée, marmonnant, c’était pathétique. Elle se brûla la langue en expédiant son café, ce qui lui donna mauvaise conscience, Appelle-moi dans la journée, lança-t-elle au moment de quitter l’appartement. Jumien la regarda comme s’il ne comprenait pas ou que ce qu’elle disait n’avait aucun sens. Elle ferma la porte.