mercredi 30 septembre 2020

Narcissus contrariata (10)

Dans la rue il rasait les murs. L’intuition qu’il ne fallait pas qu’on le voie. Comme si un attroupement risquait de se former, qu’on le pointe du doigt, Regardez, regardez tous ! À la fin, il courrait tel un dératé, poursuivi par une foule hostile brandissant des fourches et des torches. Oui, c’était très réaliste. Il gardait la tête baissée, s’efforçant de ne jamais croiser sa silhouette dans une vitrine – de peur qu’elle se déplace en sens opposé du sien.

Son passe fit retentir un son aigre au moment de franchir le tourniquet du métro, comme s’il l’avait usurpé, il réessaya sans plus de réussite, finit par se contorsionner pour se dégager de l’embarras. Heureusement il était maigre, heureusement les gens derrière lui n’avaient vu que son dos, heureusement aucun contrôleur ne vint l’arrêter et le regarder en face. Si visiblement monstrueux. Mais il ne pourrait pas tenir longtemps.

Quitter l’appartement avait été déraisonnable, mais y rester l'eût été davantage, se souvint-il, du moins c’était ce qu’il avait pensé alors qu’il renonçait à téléphoner au lycée en inventant une bonne raison d’être souffrant et de ne pouvoir assurer ses cours. La seconde A remarquerait-elle quelque chose ? Est-ce que, pour une fois, il attirerait l’attention de ses élèves au-delà des quatre fayots du premier rang ?