Je me perds encore, cette fois je suis parti à vélo. À vélo je m'égare, à pied aussi. La veille, comme dans un conte fantastique, je m'éloignais répétitivement de ma destination de retour. Aujourd'hui, comme à l'envers du conte, je ne parviens pas à m'éloigner de mon point de départ. Au bout de deux heures je me retrouve à cinq minutes du village où j'ai accroché le vélo.
Ma désorientation est état de veille hypnagogique, alors que pour la plupart des humains l'hypnagogie tourne autour du sommeil. Je tourne autour de mon manque de répartie, même sans croiser de cueilleurs de muguet. « Quand je marche, je marche », chante Camille, mais moi quand je marche je me déporte ailleurs, et ce n'est pas une affaire d'espace.
J'ai oublié le moyen mnémotechnique de distinguer les ajoncs des genêts. M'écorche les jambes aux orties en franchissant une clôture en fils barbelés. Cherche des raccourcis qui me ramènent sur un mauvais chemin.
Puis je trouve une autre explication à mes erreurs, c'est que l'échelle de la carte est deux à quatre fois plus grande que celles auxquelles je suis habitué : aussi je n'arrive pas à réaliser qu'au bout d'un kilomètre seulement j'ai déjà parcouru quatre centimètres. Ou le contraire. Cela va trop vite, me prend au dépourvu.
Et mes godillots neufs me font de plus en plus mal.
Chaque minute de nos existences singulières est bonus, relativement aux occasions où nous aurions pu mourir. De quoi se sentir un peu hébété, non ? Je marche ma vie de survivant.